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pauvre garçon se prépare là de grands chagrins quand viendra le jour de la séparation.

— Mais pourquoi se séparerait-il de celle qu’il aime, au lieu de l’épouser tout simplement ? demanda Clary qui, comme toutes les jeunes filles, s’intéressait aux affaires de cœur.

— Parce qu’il s’agit de la fille d’un émigrant. Elle ne consentirait jamais à rester en Magellanie. Et, d’un autre côté, je ne vois pas très bien ce que ferait Halg, transporté dans un de vos pays soi-disant civilisés. Sans compter qu’il ne nous quitterait pas, je pense, d’un cœur léger, son père et moi.

— Une fille d’émigrant, dites-vous ?… interrogea Harry Rhodes. Ne s’agirait-il pas de Graziella Ceroni ?

— Je l’ai rencontrée plusieurs fois, dit Edward qui se mêla à la conversation. Elle n’est pas mal.

— Halg la trouve merveilleuse ! s’écria le Kaw-djer en souriant. C’est bien naturel, d’ailleurs. Jusqu’ici, il n’avait vu que des femmes fuégiennes, et je suis obligé de reconnaître qu’on peut être mieux très facilement.

— C’est donc bien d’elle qu’il s’agit ? demanda Harry Rhodes.

— Oui. Le jour où nous avons dû intervenir dans les affaires de sa famille, comme vous vous le rappelez, sans doute, j’avais déjà remarqué la vive impression qu’elle avait faite sur Halg. Une vraie révélation, on peut le dire. Vous n’ignorez pas à quel point cette jeune fille et sa mère sont malheureuses, et de la pitié à l’amour il n’y a pas loin, bien souvent.

— C’est même le plus beau de tous les chemins qui y conduisent, fit remarquer Mme Rhodes.

— Quel qu’il soit, je vous prie de croire que, depuis ce jour-là, Halg le suit allègrement. Vous n’avez pas idée du changement qui s’est opéré en lui. En voulez-vous un exemple ?… Les indigènes de la Magellanie ne sont pas précisément remarquables par leur coquetterie, ainsi que vous pouvez le supposer. Malgré la rigueur du climat, ils poussent l’indifférence à cet égard jusqu’à vivre radicalement nus. Halg, perverti par la civilisation, dont j’ai eu le tort d’apporter un vieux reste dans les plis de mes vêtements, était déjà un raffiné parmi ses congénères, puisqu’il consentait depuis le naufrage du Jonathan à se couvrir de peaux de phoque ou de guanaque.

Mais maintenant, c’est bien autre chose ! Il a déniché un barbier parmi les émigrants et s’est fait