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Certes, l’événement trompait son espoir. Mais Patterson n’était pas de ceux qui se découragent. En dépit du naufrage, sans rien montrer de la déception qu’il devait éprouver, il s’entêtait à poursuivre sa chance avec la même patiente obstination. Si, dans le malheur commun, un seul des naufragés devait arriver à gagner quelque chose, ce serait lui assurément.

Aidé de Blaker et de Long, il avait placé sa maisonnette à quelque distance de la mer, sur le bord même de la rivière et à l’unique point où elle fût accessible. En amont, la rive brusquement relevée devenait une sorte de falaise de près de quinze mètres de hauteur. En aval, après une petite étendue de terrain plat devant la maison, le sol cédait tout à coup, et la rivière tombait en cascade sur l’étage inférieur. Entre cette cascade et la mer s’étendait un marécage impraticable. À moins de s’imposer un détour de plus d’un kilomètre vers l’amont, les émigrants étaient donc dans la nécessité de passer devant Patterson pour aller remplir cruches et barils.

Les autres maisons et les tentes s’égrenaient dans un pittoresque désordre parallèlement à la mer dont elles étaient séparées par le marais. Quant au Kaw-djer, il logeait avec Halg et Karroly dans une ajoupa fuégienne édifiée par les deux Indiens. Rien de plus rudimentaire que cet abri formé d’herbes et de branchages, et il fallait, pour s’en contenter, ne pas craindre les rigueurs de ce climat. Mais l’ajoupa, située sur la rive gauche du rio, avait l’avantage d’être à proximité du lieu d’échouage de la chaloupe, ce qui permettrait de profiter de toutes les éclaircies pour activer les réparations.

Pendant les deux semaines que dura le premier assaut sérieux de l’hiver, il ne put être question de les entreprendre. Il ne faudrait pas en conclure que le Kaw-djer vécût en reclus, comme la foule moins aguerrie des naufragés. Chaque jour, en compagnie de Halg, il traversait la rivière sur un pont léger construit en quarante-huit heures par Karroly, et se rendait au campement.

Il y avait fort à faire. Dès le début du froid, quelques émigrants atteints d’affections aiguës, en général de bronchites assez bénignes, avaient demandé le secours du Kaw-djer, qui depuis son intervention chirurgicale, jouissait d’une réputation solidement établie. L’enfant blessé allait, en effet, de mieux en mieux,