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quelques phénomènes inexplicables

n’auraient abandonné la houillère ni aux génies, ni aux fées. L’espoir de découvrir un nouveau filon leur eût fait braver toute la fantastique cohorte des lutins. Ils n’étaient crédules, ils n’étaient croyants que sur un point : ils ne pouvaient admettre que le gisement carbonifère d’Aberfoyle fût totalement épuisé. On peut dire, avec quelque justesse, que Simon Ford et son fils avaient à ce sujet « la foi du charbonnier », cette foi en Dieu que rien ne peut ébranler.

C’est pourquoi depuis dix ans, sans y manquer un seul jour, obstinés, immuables dans leurs convictions, le père et le fils prenaient leur pic, leur bâton et leur lampe. Ils allaient ainsi tous les deux, cherchant, tâtant la roche d’un coup sec, écoutant si elle rendait un son favorable.

Tant que les sondages n’auraient pas été poussés jusqu’au granit du terrain primaire, Simon et Harry Ford étaient d’accord que la recherche, inutile aujourd’hui, pouvait être utile demain, et qu’elle devait être reprise. Leur vie entière, ils la passeraient à essayer de rendre à la houillère d’Aberfoyle son ancienne prospérité. Si le père devait succomber avant l’heure de la réussite, le fils reprendrait la tâche à lui seul.

En même temps, ces deux gardiens passionnés de la houillère la visitaient au point de vue de sa conservation. Ils s’assuraient de la solidité des remblais et des voûtes. Ils recherchaient si un éboulement était à craindre, et s’il devenait urgent de condamner quelque partie de la fosse. Ils examinaient les traces d’infiltration des eaux supérieures, ils les dérivaient, ils les canalisaient pour les envoyer à quelque puisard. Enfin, ils s’étaient volontairement constitués les protecteurs et conservateurs de ce domaine improductif, duquel étaient sorties tant de richesses, maintenant dissoutes en fumées !

Ce fut pendant quelques-unes de ces excursions qu’il arriva à Harry, plus particulièrement, d’être frappé de certains phénomènes, dont il cherchait en vain l’explication.

Ainsi, plusieurs fois, lorsqu’il suivait quelque étroite contre-galerie, il lui sembla entendre des bruits analogues à ceux qu’auraient pu produire de violents coups de pic, frappés sur la paroi remblayée.

Harry, que le surnaturel, non plus que le naturel, ne pouvait effrayer, avait pressé le pas pour surprendre la cause de ce mystérieux travail.

Le tunnel était désert. La lampe du jeune mineur, promenée sur la paroi, n’avait laissé voir aucune trace récente de coups de pince ou de pic. Harry se demandait donc s’il n’était pas le jouet d’une illusion d’acoustique, de quelque bizarre ou fantasque écho.

D’autres fois, en projetant subitement une vive lumière vers une anfractuosité