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risquer leur vie pour arrêter ce feu, qui menaçait de détruire le gisement, et ils n’y parvinrent qu’en employant les extincteurs, remplis d’une eau chargée d’acide carbonique, dont la houillère était prudemment pourvue.

Une autre fois, ce fut un éboulement dû à la rupture des étançons d’un puits, et James Starr constata que ces étançons avaient été préalablement attaqués à la scie. Harry, qui surveillait les travaux sur ce point, fut enseveli sous les décombres et n’échappa que par miracle à la mort.

Quelques jours après, sur le tramway à traction mécanique, le train de wagonnets sur lequel Harry était monté, tamponna un obstacle et fut culbuté. On reconnut ensuite qu’une poutre avait été placée en travers de la voie.

Bref, ces faits se multiplièrent tellement, qu’une sorte de panique se déclara parmi les mineurs. Il ne fallait rien de moins que la présence de leurs chefs pour les retenir sur les travaux.

« Mais ils sont donc toute une bande, ces malfaiteurs ! répétait Simon Ford, et nous ne pouvons mettre la main sur un seul ! »

On recommença les recherches. La police du comté se tint sur pied nuit et jour, mais elle ne put rien découvrir. James Starr défendit à Harry, que cette malveillance semblait viser plus directement, de s’aventurer jamais seul hors du centre des travaux.

On en agit de même à l’égard de Nell, à laquelle, sur les instances de Harry, on cachait, néanmoins, toutes ces tentatives criminelles, qui pouvaient lui rappeler le souvenir du passé. Simon Ford et Madge la gardaient jour et nuit avec une sorte de sévérité, ou plutôt de sollicitude farouche. La pauvre enfant s’en rendait compte, mais pas une remarque, pas une plainte ne lui échappa. Se disait-elle que si l’on en agissait ainsi, c’était dans son intérêt ? Oui, probablement. Toutefois, elle aussi, à sa façon, semblait veiller sur les autres, et ne se montrait tranquille, que lorsque tous ceux qu’elle aimait étaient réunis au cottage. Le soir, quand Harry rentrait, elle ne pouvait retenir un mouvement de joie folle, peu compatible avec sa nature, d’ordinaire plus réservée qu’expansive. La nuit une fois passée, elle était debout, avant tous les autres. Son inquiétude la reprenait dès le matin, à l’heure de la sortie pour les travaux du fond.

Harry aurait voulu, pour lui rendre le repos, que leur mariage fût un fait accompli, Il lui semblait que, devant cet acte irrévocable, la malveillance, devenue inutile, désarmerait, et que Nell ne se sentirait en sûreté que lorsqu’elle serait sa femme. Cette impatience était d’ailleurs partagée par James