Page:Verne - Les Indes noires, 1877.djvu/162

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
les indes-noires.

Il était trois heures du soir. Les rives occidentales du lac Katrine, moins accidentées, se détachaient alors dans le double cadre du Ben An et du Ben Venue. Déjà, à un demi-mille, se dessinait l’étroit bassin, au fond duquel le Rob-Roy allait débarquer les voyageurs, qui se rendaient à Stirling par Callander.

Nell était comme épuisée par la tension continue de son esprit. Un seul mot sortait de ses lèvres : Mon Dieu ! mon Dieu ! chaque fois qu’un nouveau sujet d’admiration s’offrait à sa vue. Il lui fallait quelques heures de repos, ne fût-ce que pour fixer plus durablement le souvenir de tant de merveilles.

À ce moment, Harry avait repris sa main. Il regarda la jeune fille avec émotion et lui dit :

« Nell, ma chère Nell, bientôt nous serons rentrés dans notre sombre domaine ! Ne regretteras-tu rien de ce que tu as vu pendant ces quelques heures passées à la pleine lumière du jour ?

— Non, Harry, répondit la jeune fille. Je me souviendrai, mais c’est avec bonheur que je rentrerai avec toi dans notre bien-aimée houillère.

— Nell, demanda Harry d’une voix dont il voulait en vain contenir l’émotion, veux-tu qu’un lien sacré nous unisse à jamais devant Dieu et devant les hommes ? Veux-tu de moi pour époux ?

— Je le veux, Harry, répondit Nell, en le regardant de ses yeux si purs, je le veux, si tu crois que je puisse suffire à ta vie… »

Nell n’avait pas achevé cette phrase, dans laquelle se résumait tout l’avenir d’Harry, qu’un inexplicable phénomène se produisait.

Le Rob-Roy, bien qu’il fût encore à un demi-mille de la rive, éprouvait un choc brusque. Sa quille venait de heurter le fond du lac, et sa machine, malgré tous ses efforts, ne put l’en arracher.

Et si cet accident était arrivé, c’est que, dans sa portion orientale, le lac Katrine venait de se vider presque subitement, comme si une immense fissure se fût ouverte sous son lit. En quelques secondes, il s’était asséché, ainsi qu’un littoral au plus bas d’une grande marée d’équinoxe. Presque tout son contenu avait fui à travers les entrailles du sol.

« Mes amis, s’était écrié James Starr, comme si la cause du phénomène se fût soudain révélée à son esprit, Dieu sauve la Nouvelle-Aberfoyle ! »