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les indes-noires.

Un bateau à vapeur, le Sinclair, attendait les touristes qui font l’excursion des lacs. Nell et ses compagnons s’y embarquèrent, après avoir pris leur billet pour Inversnaid, à l’extrémité nord du lac Lomond.

La journée commençait par un beau soleil, bien dégagé de ces brumes britanniques, dont il se voile le plus ordinairement. Aucun détail de ce paysage, qui allait se dérouler sur un parcours de trente milles, ne devait échapper aux voyageurs du Sinclair. Nell, assise à l’arrière entre James Starr et Harry, aspirait par tous ses sens la poésie superbe, dont cette belle nature écossaise est si largement empreinte.

Jack Ryan allait et venait sur le pont du Sinclair, interrogeant sans cesse l’ingénieur, qui, cependant, n’avait pas besoin d’être interrogé. À mesure que ce pays de Rob Roy se développait à ses regards, il le décrivait en admirateur enthousiaste.

Dans les premières eaux du lac Lomond, apparurent d’abord de nombreuses petites îles ou îlots. C’était comme un semis. Le Sinclair côtoyait leurs rives escarpées, et, dans l’entre-deux des îles, se dessinaient, tantôt une vallée solitaire, tantôt une gorge sauvage, hérissée de rocs abrupts.

« Nell, dit James Starr, chacun de ces îlots a sa légende, et peut-être sa chanson, aussi bien que les monts qui encadrent le lac. On peut dire, sans trop de prétention, que l’histoire de cette contrée est écrite avec ces caractères gigantesques d’îles et de montagnes.

— Savez-vous, monsieur Starr, dit Harry, ce que me rappelle cette partie du lac Lomond ?

— Que te rappelle-t-elle, Harry ?

— Les mille îles du lac Ontario, si admirablement décrites par Cooper. Tu dois être comme moi frappée de cette ressemblance, ma chère Nell, car, il y a quelques jours, je t’ai lu ce roman qu’on a pu justement nommer le chef-d’œuvre de l’auteur américain.

— En effet, Harry, répondit la jeune fille, c’est le même aspect, et le Sinclair se glisse entre ces îles, comme faisait au lac Ontario le cutter de Jasper Eau-douce !

— Eh bien, reprit l’ingénieur, cela prouve que les deux sites méritaient d’être également chantés par deux poètes ! Je ne connais pas ces mille îles de l’Ontario, Harry, mais je doute que l’aspect en soit plus varié que celui de cet archipel du Lomond. Regardez ce paysage ! Voici l’île Murray, avec son vieux fort Lennox, où résida la vieille duchesse d’Albany, après la mort de son père, de son époux, de ses deux fils, décapités par ordre de Jacques Ier. Voici l’île Clar,