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nell au cottage.

« Tes yeux, Nell, ne sont pas encore habitués au jour, dit Harry, et certainement, ils ne pourraient supporter l’éclat du soleil.

— Non, sans doute, répondit la jeune fille, si le soleil est tel que tu me l’as dépeint, Harry.

— Nell, reprit Harry, en te parlant, je n’ai pu te donner une juste idée de sa splendeur ni des beautés de cet univers que tes regards n’ont jamais observé. — Mais, dis-moi, se peut-il que depuis le jour où tu es née dans les profondeurs de la houillère, se peut-il que tu ne sois jamais remontée à la surface du sol ?

— Jamais, Harry, répondit Nell, et je ne pense pas que, même petite, ni un père ni une mère m’y aient jamais portée. J’aurais certainement gardé quelque souvenir du dehors !

— Je le crois, répondit Harry. D’ailleurs, à cette époque, Nell, bien d’autres que toi ne quittaient jamais la mine. Les communications avec l’extérieur étaient difficiles, et j’ai connu plus d’un jeune garçon ou d’une jeune fille, qui, à ton âge, ignoraient encore tout ce que tu ignores des choses de là-haut ! Mais maintenant, en quelques minutes, le railway du grand tunnel nous transporte à la surface du comté. J’ai donc hâte, Nell, de t’entendre me dire : « Viens, Harry, mes yeux peuvent supporter la lumière du jour, et je veux voir le soleil ! Je veux voir l’œuvre de Dieu ! »

— Je te le dirai, Harry, répondit la jeune fille, avant peu, je l’espère. J’irai admirer avec toi ce monde extérieur, et cependant…

— Que veux-tu dire, Nell ? demanda vivement Harry. Aurais-tu quelque regret d’avoir abandonné le sombre abîme dans lequel tu as vécu pendant les premières années de ta vie, et dont nous t’avons retirée presque morte ?

— Non, Harry, répondit Nell. Je pensais seulement que les ténèbres sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu’y voient des yeux habitués à leur profondeur ! Il y a des ombres qui passent et qu’on aimerait à suivre dans leur vol ! Parfois ce sont des cercles qui s’entrecroisent devant le regard et dont on ne voudrait plus sortir ! Il existe, au fond de la houillère, des trous noirs, pleins de vagues lumières. Et puis, on entend des bruits qui vous parlent ! Vois-tu, Harry, il faut avoir vécu là pour comprendre ce que je ressens, ce que je ne puis t’exprimer !

— Et tu n’avais pas peur, Nell, quand tu étais seule ?

— Harry, répondit la jeune fille, c’est quand j’étais seule que je n’avais pas peur ! »

La voix de Nell s’était légèrement altérée en prononçant ces paroles. Harry, cependant, crut devoir la presser un peu, et il dit :