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la taverne des « three-magpies ».

on les laissait filer ; celles dont la mèche, presque entièrement consumée, grésillait, on les laissait grésiller. Ce vague éclairage suffisait. Quand il s’agit de boire sec, pas n’est besoin de voir clair. Les verres trouvent sans peine le chemin de la bouche.

Une vingtaine de matelots occupaient les bancs et les escabeaux, — des gens de tous pays, Américains, Anglais, Irlandais, Hollandais, la plupart déserteurs, les uns prêts à partir pour les placers, les autres en revenant et dépensant sans compter leurs dernières pépites. Ils péroraient, ils chantaient, ils hurlaient à ce point que des coups de revolver n’eussent pas été entendus au milieu de ce tumultueux et assourdissant tapage. La moitié de ces gens étaient ivres de cette ivresse morne des alcools frelatés que leurs gosiers absorbaient machinalement et dont ils ne sentaient plus les âcres brûlures. Quelques-uns se levaient, titubaient, retombaient. Adam Fry, aidé du garçon, un vigoureux indigène, les relevait, les tirait, les jetait dans un coin « en pagale », pour employer une expression de l’argot maritime. La porte de la rue grinçait sur ses gonds. Il y en avait qui sortaient, se cognant aux murailles, se heurtant aux bornes, s’étalant dans le ruisseau. Il y en avait qui entraient et venaient s’asseoir sur les bancs