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LES FRÈRES KIP

cier ?… Comment le second serait-il porté à leur connaissance ?… Et comment la surveillance se relâcherait-elle à leur égard, puisque jour et nuit ils étaient, au dedans, au dehors, sous la garde des constables ?…

Il y avait alors, parmi ces constables, un Irlandais qui se trouvait en rapport avec ses compatriotes. Par dévouement à la cause du fenianisme, pour en sauver les dernières victimes, envoyé d’Amérique en Tasmanie, cet Irlandais — de son nom Farnham — s’était fait admettre comme gardien au pénitencier de Port-Arthur, dans le but de concourir à l’évasion des prisonniers. Sans doute, il risquait gros jeu, si la tentative échouait, si l’on découvrait qu’il eût été de connivence avec O’Brien et son compagnon de bagne. Mais il s’est maintes fois rencontré de ces dévouements. Entre les fenians existe une solidarité qui va jusqu’au sacrifice de la vie. Quelques années auparavant, six de ces déportés politiques ne s’étaient-ils pas échappés d’Australie, grâce à des relais établis de distance en distance, qui leur permirent de gagner la côte et d’embarquer sur le Catalpa, lequel, après un combat avec le bateau de la police, les transporta en Amérique ?…

Or, depuis environ dix-huit mois, Farnham remplissait les fonctions de constable à la satisfaction des chefs, alors que ses compatriotes y étaient enfermés depuis six ans déjà. Bientôt il se fit admettre parmi les gardiens de leur escouade, de telle sorte qu’ils fussent toujours sous sa surveillance et qu’il pût les accompagner au dehors. Ce qui lui donna quelque peine, n’étant pas connu d’eux, ce fut de leur inspirer confiance et de ne point être pris pour un faux frère. Il y parvint, et un parfait accord s’établit entre eux.

Le grand souci de Farnham avait été de ne point donner lieu aux soupçons. Aussi dut-il se montrer non moins impitoyable pour les convicts de son escouade que ne l’étaient les autres gardiens.