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PORT-ARTHUR.

tude que les deux frères eurent en sa présence. Après avoir répondu aux questions qui leur furent posées, Karl Kip ajouta d’une voix ferme :

« La justice des hommes nous a condamnés, monsieur le commandant, mais nous sommes innocents de l’assassinat dont le capitaine Gibson a été victime ! »

Ils s’étaient encore pris par la main, comme ils l’avaient fait devant la Cour criminelle, et ce fut la dernière fois qu’ils purent ainsi échanger une fraternelle étreinte.

Les agents les emmenèrent séparément, ordre ayant été donné de ne plus les laisser l’un avec l’autre. Incorporés chacun dans une escouade, avec l’impossibilité de jamais se parler, ils auraient à peine l’occasion de s’entrevoir.

Alors commença pour eux, puis se poursuivit cette épouvantable existence du forçat, sous l’accoutrement jaune, spécial au pénitencier de Port-Arthur. Ils n’étaient pas accouplés, ainsi que cela se fait en d’autres pays, à un compagnon dont ils eussent partagé la chaîne. À l’honneur de la Grande-Bretagne, cette torture, plus morale que physique, n’a jamais été imposée dans les colonies anglaises. Mais une chaîne longue de trois pieds environ entrave les jambes du condamné, et, pour marcher, il lui faut la relever jusqu’à la ceinture. Cependant, si l’accouplement continu n’existe pas à Port-Arthur, quelquefois, par mesure disciplinaire, les forçats d’une même escouade sont rattachés ensemble et travaillent ainsi au transport des fardeaux.

Les frères Kip ne furent point soumis à cette horrible peine de la « chain-gang ». Durant de longs mois, sans avoir pu, même une seule fois, s’adresser la parole, ils s’occupèrent, dans des escouades séparées, à l’établissement des routes que le gouvernement faisait ouvrir à travers la presqu’île de Tasman.

La plupart du temps, la journée faite, ils rentraient dans les