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LES FRÈRES KIP

pour un homme de grand sens et d’un jugement très sûr. Aussi se résolut-il à lui demander audience à bref délai et, dans la matinée du 25 février, s’étant rendu à l’hôtel de la résidence, il fut à l’instant reçu.

Le gouverneur ne se doutait guère du motif qui amenait M. Hawkins en sa présence. Après avoir suivi avec intérêt les débats de l’affaire Kip comme tout le monde, il ne mettait pas en doute la culpabilité des condamnés.

La surprise de Son Excellence ne laissa donc pas d’être profonde, lorsque M. Hawkins lui eut fait connaître son opinion.

Comme il lui prêtait d’ailleurs toute attention, M. Hawkins s’abandonna sans réserve. Il parla avec tant de chaleur de ces deux victimes d’une erreur judiciaire, il mit en relief avec une si franche logique les points obscurs, indécis, ou du moins inexpliqués de leur cause, que le gouverneur se sentit ébranlé dans une certaine mesure.

« Je vois, mon cher Hawkins, déclara-t-il, que, durant cette traversée à bord du James-Cook, vous avez conçu une grande estime pour Karl et Pieter Kip… et qu’ils s’en étaient toujours montrés dignes…

— Je les considérais et je les considère encore comme d’honnêtes gens, monsieur le gouverneur, affirma M. Hawkins d’un ton convaincu. Je ne puis vous fournir de preuves matérielles à l’appui de ma conviction, parce qu’elles m’échappent jusqu’ici, et peut-être même nous échapperont-elles toujours… Mais rien de ce qui a été dit au cours des débats, pas un des témoignages qui ne sont produits n’a pu affaiblir la certitude que j’ai de l’innocence de ces deux infortunés. Et, Votre Excellence le remarquera, ces témoignages se réduisent à un seul, celui du maître d’équipage, que j’ai maintenant des raisons de regarder comme très suspect !… C’est par haine qu’il agit, c’est par vengeance qu’il accuse les frères Kip d’un