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LES FRÈRES KIP

cassé, que l’affaire serait jugée à nouveau, que le temps gagné ainsi permettrait à la vérité d’apparaître dans tout son éclat, lui ne conservait aucune espérance. En songeant à l’énormité des charges qui pesaient sur eux, d’où leur serait venu un secours ?… Quelle intervention eût été assez forte pour les sauver, sinon une intervention providentielle ?…

Puis, leur esprit se reportait en arrière, ils songeaient à tous ces coups de la mauvaise fortune qui les avait conduits là où ils étaient… Ah ! mieux eût valu que le James-Cook ne fût pas venu les recueillir sur l’île de Norfolk !… Mieux eût valu que le capitaine Gibson n’eût point aperçu leur signaux !… Sans doute ils auraient péri de misère et de faim sur cette côte déserte !… Mais ce n’eût pas été du moins cette mort infamante du gibet, de la mort réservée aux assassins !…

« Pieter !… Pieter !… s’écriait Karl Kip. Notre pauvre père, s’il vivait encore… s’il voyait son nom déshonoré !… Cette honte le tuerait…

— Peux-tu donc penser qu’il nous aurait crus coupables, Karl ?…

— Non… frère, jamais !… jamais ! »

Et alors, ils en venaient à parler de ceux dont ils avaient partagé la vie commune pendant quelques semaines, de ces généreux sauveurs qui leur avaient témoigné une si vive sympathie, auxquels ils devaient tant de reconnaissance !… Que, dans l’excès de sa douleur, Nat Gibson eût pris contre eux une attitude si accusatrice, ils le comprenaient, ils faisaient la part de sa situation, à lui, le fils de la victime !… Mais comment lui pardonner qu’il voulût voir en eux les meurtriers de son père !…

En ce qui concerne M. Hawkins, rien qu’à la manière réservée dont sa déposition était faite, ils sentaient bien qu’un doute