Page:Verne - Les Frères Kip, Tome I et II, 1903.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
LE VERDICT.

À cet instant, Nat Gibson demanda la parole. Il voulait appeler l’attention du jury sur un fait dont il n’avait pas été parlé jusqu’alors, fait qu’il importait cependant de relever.

Et, sur l’autorisation du président, il s’exprima en ces termes :

« Messieurs les juges, messieurs les jurés, vous n’ignorez pas que, pendant la traversée de la Nouvelle-Zélande à l’archipel Bismarck, le James-Cook eut à subir et à repousser l’attaque des Papouas à la hauteur des Louisiades. Officiers, passagers, équipage, tous concoururent à la défense du brick. Mon père était au premier rang. Or, au plus fort de la lutte, un coup de feu fut tiré, on ne sait par qui, et une balle vint effleurer la tête du capitaine Gibson !… Eh bien, messieurs, jusqu’ici, j’ai pu croire que c’était un coup malheureux, qui s’expliquait au milieu d’une profonde obscurité et dans l’ardeur de la défense… Mais je ne pense plus ainsi… J’ai lieu de croire maintenant, et je crois que ce fut un attentat prémédité, dirigé contre mon père, dont la mort était déjà résolue, et par qui, si ce n’est pas par ceux qui devaient l’assassiner plus tard ?… »

Sous la violence de cette nouvelle accusation, Karl Kip se redressa, le regard ardent, la voix frémissante de colère :

« Nous… nous !… s’écria-t-il… Nat Gibson… vous osez dire !… »

Karl était hors de lui. Mais son frère, lui prenant la main, le calma, et il se rassit, la poitrine haletante, gonflée de sanglots.

Il n’y eut personne dans la salle que cette émouvante scène n’eût profondément remué, et quelques larmes coulèrent des yeux de M. Hawkins.

Quant à Vin Mod, il pressait du genou le maître d’équipage, il le regardait en dessous et semblait dire :

« Ma foi… je n’avais pas songé à cela !… Lui… il ne l’a pas oublié, le fils au capitaine ! »

La tâche de l’accusateur ne devait plus être que trop facile.