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LES FRÈRES KIP

Et, pourtant, impossibilité absolue d’augmenter la voilure. Un des focs que Flig Balt fit hisser, afin de rendre la barre plus sensible et plus efficace, fut mis en lambeaux. Le hunier détonnait à se déchirer, il y eut lieu de se demander s’il ne faudrait pas fuir à sec de toile. Et autant dire qu’un navire est alors comme désemparé, incapable de suivre aucune direction, qu’il est devenu le jouet des lames.

Un peu après minuit, le plus ignorant matelot du bord aurait reconnu que le James-Cook ne pouvait conserver cette allure. Ses embardées se succédaient sans interruption. Il était littéralement mangé par la mer. Les lames ayant le double de sa vitesse, il ne gouvernait plus.

M. Hawkins ne cachait pas l’inquiétude qui le dévorait. Il s’agissait non point du navire et de sa cargaison, qu’on eût jetée par-dessus le bord en cas de nécessité, mais de la vie des passagers et de l’équipage. Que Flig Balt eût l’entière responsabilité du commandement, lui, l’armateur, avait cette responsabilité de l’avoir nommé capitaine du James-Cook. Et si F ex-maître d’équipage n’était pas à la hauteur de ses nouvelles fonctions ; si, par son impéritie, la sécurité du brick venait à être compromise, et si Karl Kip, un marin, en somme, avait raison contre lui…

Toutes ces pensées, ces incertitudes, s’agitaient dans l’esprit de M. Hawkins. Il les communiquait à Nat Gibson, qui partageait ses appréhensions et marquait peu de confiance dans Flig Balt.

De temps à autre, lorsque celui-ci s’approchait, M. Hawkins l’interrogeait, le pressait de questions auxquelles il ne répondait que par des phrases inintelligibles, incohérentes, dénotant un trouble profond, une insuffisance notoire devant les périls de cette situation.

Et, à la lueur des derniers éclairs, quand M. Hawkins se retournait vers Karl Kip, il l’apercevait debout, près de son frère, lui