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LES FRÈRES KIP

les recrutât, on était fondé à se demander si le capitaine Gibson consentirait à embarquer des matelots de cette envergure !… Inutile, au surplus, d’exiger leurs papiers : ils n’en produiraient pas, et pour cause.

Restait à savoir si ces hommes étaient disposés à contracter un engagement, s’ils ne venaient pas précisément de déserter leur bord, s’ils ne se préparaient pas à échanger la vareuse du matelot contre la veste du chercheur d’or. Après tout, ils ne s’offriraient pas d’eux-mêmes, et quel accueil feraient-ils à la proposition d’embarquer sur le James-Cook ?… On ne le saurait qu’après en avoir causé en arrosant l’entretien de gin ou de wisky, à leur choix.

« Eh… l’ami… un verre…, dit Vin Mod, qui attira le nouvel arrivant vers la table.

— Deux… si vous voulez…, répondit le matelot, qui fit claquer sa langue.

— Trois… quatre… la demi-douzaine… et même la douzaine, si tu as le gosier sec ! »

Len Cannon, — c’était son nom ou le nom qu’il se donnait, — s’assit sans plus de façon et de manière à prouver qu’il irait facilement jusqu’à la douzaine. Puis, comprenant bien qu’on ne le désaltérait pas, — en admettant que ce fût possible, — pour ses beaux yeux et sa belle tournure :

« Qu’est-ce qu’il y a ?… » demanda-t-il d’une voix éraillée par l’abus de l’alcool.

Vin Mod expliqua la chose ; le brick James-Cook en partance… de gros gages… une navigation de quelques mois… simple cabotage d’îles en îles… bonne nourriture… boisson abondante et de bonne qualité… un capitaine qui s’en rapportait à son maître d’équipage, Flig Balt, ici présent, pour ce qui concernait le bien-être des hommes… port d’attache Hobart-Town, enfin tout ce qui peut séduire un matelot qui aime à se divertir pendant les relâches…