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LES FRÈRES KIP

la collision en cette partie du Pacifique comprise entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, au-dessous de la Nouvelle-Calédonie, signalée vers l’est quarante-huit heures avant, dans la dernière observation du capitaine Roebok ?

Il va sans dire que le steamer abordeur devait être loin déjà, à moins qu’il n’eut stoppé après le choc. S’il avait mis des embarcations à la mer, comment, au milieu du brouillard, celles-ci retrouveraient-elles les survivants de cette catastrophe ?…

Karl et Pieter Kîp se crurent perdus. Une obscurité profonde enveloppait la mer. Aucun sifflet de machine, aucun appel de sirène n’indiquait la présence d’un navire, ni ce mugissement qu’eussent produit les échappements de vapeur, s’il fût resté sur le lieu du sinistre… Pas une seule épave à portée de la main des deux frères…

Pendant une demi-heure ils se soutinrent, l’aîné encourageant le plus jeune, lui prêtant l’appui de son bras lorsqu’il faiblissait. Mais le moment approchait où tous deux seraient à bout de forces, et, après une dernière étreinte, un suprême adieu, ils s’engloutiraient dans l’abîme…

Il était environ trois heures du matin, lorsque Karl Kip parvint à saisir un objet qui flottait près de lui. C’était une des cages à poules de la Wilhelmina, à laquelle ils s’accrochèrent. L’aube perça enfin les jaunâtres volutes du brouillard, la brume ne tarda pas à se lever, et un clapotis de lames reprît au souffle de la brise.

Karl Kip promena son regard jusqu’à l’horizon.

Dans l’est, mer déserte. Dans l’ouest, la côte d’une terre assez élevée, voilà ce qu’il aperçut tout d’abord.

Cette côte ne se trouvait pas à plus de trois milles. Le courant et le vent y portaient. Il y avait certitude de pouvoir l’atteindre, si la houle ne devenait pas trop forte.