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LES FRÈRES KIP

boine, l’une des Moluques, correspondant de la maison Kip, de Groningue.

Cette maison faisait le gros et le demi-gros des produits de cet archipel, qui appartient à la Hollande, et plus particulièrement des noix du muscadier et des clous du giroflier, très abondants en cette colonie. Si ladite maison ne comptait pas parmi les plus importantes de la ville, du moins son chef jouissait-il d’une excellente réputation dans le monde commercial.

M. Kip père, veuf depuis quelques années, était mort cinq mois auparavant. Ce fut un coup grave pour les affaires du comptoir, et il y eut lieu de prendre des mesures afin d’empêcher une liquidation qui se fût faite dans des conditions désavantageuses. Avant tout, il fallait que les deux frères revinssent à Groningue.

Karl Kip avait alors trente-cinq ans. Bon marin, en passe de devenir capitaine, il attendait un commandement et ne devait pas tarder à l’obtenir. Peut-être d’une intelligence moins aiguisée que son frère, moins homme d’affaires, moins propre à la direction d’une maison de commerce, il le dépassait en résolution, en énergie comme en force et en endurance physique. Son plus gros chagrin venait de ce que la situation financière de la maison Kip ne lui avait jamais permis de posséder un navire. Karl Kip eût alors fait la navigation de long cours pour son compte. Mais il aurait été impossible de rien distraire des fonds engagés dans le commerce, et le désir du fils aîné n’avait pu être réalisé.

Karl et Pieter étaient unis d’une étroite amitié qu’aucun désaccord n’avait jamais altérée, encore plus liés par la sympathie que par le sang. Entre eux, pas un ombrage, pas un nuage de jalousie ou de rivalité. Chacun restait dans sa sphère. À l’un les lointains voyages, les émotions, les dangers de la mer, à l’autre le travail dans le comptoir d’Amboine et les rapports avec celui de Groningue. La famille leur suffisait. Ils n’avaient point cherché à s’en créer une