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LES DEUX FRÈRES.

En moins d’un quart d’heure, l’embarcation atteignît la passe. On aperçut les dernières fumées du foyer qui avait été entretenu toute la nuit et près duquel se tenaient les deux hommes.

À l’avant du canot, Vin Mod, impatient, se retournait pour les voir, si bien qu’il entravait le mouvement des avirons.

« Attention à nager, Mod !… lui cria le capitaine. Tu auras le temps de satisfaire ta curiosité quanti nous serons à terre…

— Oui… le temps ! » murmura le matelot, qui, de rage, aurait cassé son aviron.

La passe sinuait entre les têtes de coraux qu’il eût été dangereux d’aborder. Ces arêtes aiguës, coupantes comme acier, eussent vite fait d’endommager la coque d’une embarcation. Aussi M. Gibson ordonna-t-il de modérer la vitesse. Il n’y eut, d ailleurs, aucune difficulté à rallier l’extrémité de la pointe. La mer, qui sentait la brise du large, poussait l’embarcation. Un assez fort ressac écumait à la base des roches.

Le capitaine et son fils regardaient les deux hommes. La main dans la main, immobiles, silencieux, ils ne faisaient pas un geste, ils ne proféraient pas un cri. Lorsque le canot évolua pour ranger la pointe, Vin Mod put facilement les apercevoir.

L’un devait être âgé de trente-cinq ans, l’autre de trente. Vêtus d’habits en lambeaux, tête nue, rien n’indiquait qu’ils fussent des marins. À peu près de même taille, ils se ressemblaient assez pour que l’on put reconnaître en eux deux frères, blonds de cheveux, barbe inculte. En tout cas, ce n’étaient point des indigènes polynésiens.

Et alors, avant même que le débarquement fut effectué, lorsque le capitaine était encore assis sur le banc d’arrière, le plus âgé de ces deux hommes s’avança à l’extrémité de la pointe, et en anglais, mais avec un accent étranger, il cria :

« Merci pour être venus à notre secours… merci !

— Qui êtes-vous ?… demanda M. Gibson dès qu’il accosta.