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— Parce que j’aurais voulu savoir ce qu’il y avait au-delà du détroit de Magellan.

— Bravo, mon ami, répondit Paganel, et moi aussi, j’aurais voulu savoir si le continent se prolongeait jusqu’au pôle, ou s’il existait une mer libre, comme le supposait Drake, un de vos compatriotes, mylord. Il est donc évident que si Robert Grant et Jacques Paganel eussent vécu au dix-septième siècle, ils se seraient embarqués à la suite de Shouten et de Lemaire, deux Hollandais fort curieux de connaître le dernier mot de cette énigme géographique.

— Étaient-ce des savants ? demanda lady Helena.

— Non, mais d’audacieux commerçants, que le côté scientifique des découvertes inquiétait assez peu. Il existait alors une compagnie hollandaise des Indes orientales, qui avait un droit absolu sur tout le commerce fait par le détroit de Magellan. Or, comme à cette époque on ne connaissait pas d’autre passage pour se rendre en Asie par les routes de l’Occident, ce privilège constituait un accaparement véritable. Quelques négociants voulurent donc lutter contre ce monopole, en découvrant un autre détroit, et de ce nombre fut un certain Isaac Lemaire, homme intelligent et instruit. Il fit les frais d’une expédition commandée par son neveu, Jacob Lemaire, et Shouten, un bon marin, originaire de Horn. Ces hardis navigateurs partirent au mois de juin 1615, près d’un siècle après Magellan ; ils découvrirent le détroit de Lemaire, entre la Terre de Feu et la Terre des États, et le 12 février 1616 ils doublèrent ce fameux cap Horn, qui mieux que son frère, le cap de Bonne-Espérance, eût mérité de s’appeler le cap des Tempêtes !

— Oui, certes, j’aurais voulu être là ! s’écria Robert.

— Et tu aurais puisé à la source des émotions les plus vives, mon garçon, reprit Paganel en s’animant. Est-il, en effet, une satisfaction plus vraie, un plaisir plus réel que celui du navigateur qui pointe ses découvertes sur la carte du bord ? Il voit les terres se former peu à peu sous ses regards, île par île, promontoire par promontoire, et, pour ainsi dire, émerger du sein des flots ! D’abord, les lignes terminales sont vagues, brisées, interrompues ! Ici un cap solitaire, là une baie isolée, plus loin un golfe perdu dans l’espace. Puis les découvertes se complètent, les lignes se rejoignent, le pointillé des cartes fait place au trait ; les baies échancrent des côtes déterminées, les caps s’appuient sur des rivages certains ; enfin le nouveau continent, avec ses lacs, ses rivières et ses fleuves, ses montagnes, ses vallées et ses plaines, ses villages, ses villes et ses capitales, se déploie sur le globe dans toute sa splendeur magnifique ! Ah ! mes amis, un découvreur de terres est un véritable inventeur ! il en a les émo-