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si fort au cœur de voir miss Mary heureuse et consolée. Il s’était pris d’un intérêt tout particulier pour cette jeune fille ; et ce sentiment, il le cacha si bien, que sauf Mary Grant et lui, tout le monde s’en aperçut à bord du Duncan.

Quant au savant géographe, c’était probablement l’homme le plus heureux de l’hémisphère austral ; il passait ses journées à étudier les cartes dont il couvrait la table du carré ; de là des discussions quotidiennes avec Mr. Olbinett, qui ne pouvait mettre le couvert. Mais Paganel avait pour lui tous les hôtes de la dunette, sauf le major que les questions géographiques laissaient fort indifférent, surtout à l’heure du dîner. De plus, ayant découvert toute une cargaison de livres fort dépareillés dans les coffres du second, et parmi eux un certain nombre d’ouvrages espagnols, Paganel résolut d’apprendre la langue de Cervantes, que personne ne savait à bord. Cela devait faciliter ses recherches sur le littoral chilien. Grâce à ses dispositions au polyglottisme, il ne désespérait pas de parler couramment ce nouvel idiome en arrivant à Concepcion. Aussi étudiait-il avec acharnement, et on l’entendait marmotter incessamment des syllabes hétérogènes.

Pendant ses loisirs, il ne manquait pas de donner une instruction pratique au jeune Robert, et il lui apprenait l’histoire de ces côtes dont le Duncan s’approchait si rapidement.

On se trouvait alors, le 10 septembre, par 5° 37′ de latitude et 31° 15′ de longitude, et ce jour-là Glenarvan apprit une chose que de plus instruits ignorent probablement. Paganel racontait l’histoire de l’Amérique, et pour arriver aux grands navigateurs, dont le yacht suivait alors la route, il remonta à Christophe Colomb ; puis il finit en disant que le célèbre Génois était mort sans savoir qu’il avait découvert un nouveau monde.

Tout l’auditoire se récria. Paganel persista dans son affirmation.

« Rien n’est plus certain, ajouta-t-il. Je ne veux pas diminuer la gloire de Colomb, mais le fait est acquis. À la fin du quinzième siècle, les esprits n’avaient qu’une préoccupation : faciliter les communications avec l’Asie, et chercher l’Orient par les routes de l’Occident ; en un mot, aller par le plus court « au pays des épices. » C’est ce que tenta Colomb. Il fit quatre voyages ; il toucha l’Amérique aux côtes de Cumana, de Honduras, de Mosquitos, de Nicaragua, de Veragua, de Costa-Rica, de Panama, qu’il prit pour les terres du Japon et de la Chine, et mourut sans s’être rendu compte de l’existence du grand continent auquel il ne devait pas même léguer son nom !

— Je veux vous croire, mon cher Paganel, répondit Glenarvan ; cependant vous me permettrez d’être surpris, et de vous demander quels sont les