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les enfants

Il y avait des vivres suffisants à nourrir dix personnes pendant quinze jours ou plutôt le défunt pour l’éternité. Ces aliments de nature végétale consistaient en fougères, en patates douces, le « convolvulus batatas » indigène, et en pommes de terre importées depuis longtemps dans le pays par les Européens. De grands vases contenaient l’eau pure qui figure au repas zélandais, et une douzaine de paniers, artistement tressés, renfermaient des tablettes d’une gomme verte parfaitement inconnue.

Les fugitifs étaient donc prémunis pour quelques jours contre la faim et la soif. Ils ne se firent aucunement prier pour prendre leur premier repas aux dépens du chef.

Glenarvan rapporta les aliments nécessaires à ses compagnons, et les confia aux soins de Mr. Olbinett. Le stewart, toujours formaliste, même dans les plus graves situations, trouva le menu du repas un peu maigre. D’ailleurs, il ne savait comment préparer ces racines, et le feu lui manquait.

Mais Paganel le tira d’affaire, en lui conseillant d’enfouir tout simplement ses fougères et ses patates douces dans le sol même.

En effet, la température des couches supérieures était très élevée, et un thermomètre, enfoncé dans ce terrain, eût certainement accusé une chaleur de soixante à soixante-cinq degrés. Olbinett faillit même s’échauder très-sérieusement, car, au moment où il venait de creuser un trou pour y déposer ses racines, une colonne de vapeur d’eau se dégagea, et monta en sifflant à une hauteur d’une toise.

Le stewart tomba à la renverse, épouvanté.

« Fermez le robinet ! » cria le major, qui, aidé des deux matelots, accourut et combla le trou de débris ponceux, tandis que Paganel, considérant d’un air singulier ce phénomène, murmurait ces mots :

« Tiens ! tiens ! hé ! hé ! pourquoi pas ?

— Vous n’êtes pas blessé ? demanda Mac Nabbs à Olbinett.

— Non, monsieur Mac Nabbs, répondit le stewart, mais je ne m’attendais guère...

— À tant de bienfaits du ciel ! s’écria Paganel d’un ton enjoué. Après l’eau et les vivres de Kara-Tété, le feu de la terre ! Mais c’est un paradis que cette montagne ! Je propose d’y fonder une colonie, de la cultiver, de nous y établir pour le reste de nos jours ! Nous serons les Robinsons du Maunganamu ! En vérité, je cherche vainement ce qui nous manque sur ce confortable cône !

— Rien, s’il est solide, répondit John Mangles.

— Bon ! il n’est pas fait d’hier, dit Paganel. Depuis longtemps il résiste à l’action des feux intérieurs, et il tiendra bien jusqu’à notre départ.