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Un autre motif, très-grave aux yeux des indigènes, accroissait encore leur désespoir. Non seulement le parent, l’ami qu’ils pleuraient, n’était plus, mais ses ossements devaient manquer au tombeau de la famille. Or, la possession de ces restes est regardée, dans la religion maorie, comme indispensable aux destinées de la vie future ; non la chair périssable, mais les os, qui sont recueillis avec soin, nettoyés, grattés, polis, vernis même, et définitivement déposés dans « l’oudoupa, » c’est-à-dire « la maison de gloire. » Ces tombes sont ornées de statues de bois qui reproduisent avec une fidélité parfaite les tatouages du défunt. Mais aujourd’hui, les tombeaux resteraient vides, les cérémonies religieuses ne s’accompliraient pas, et les os qu’épargnerait la dent des chiens sauvages blanchiraient sans sépulture sur le champ du combat.

Alors redoublèrent les marques de douleur. Aux menaces des femmes succédèrent les imprécations des hommes contre les Européens. Les injures éclataient, les gestes devenaient plus violents. Aux cris allaient succéder les actes de brutalité.

Kai-Koumou, craignant d’être débordé par les fanatiques de sa tribu, fit conduire ses captifs en un lieu sacré, situé à l’autre extrémité du pah sur un plateau abrupt. Cette hutte s’appuyait à un massif élevé d’une centaine de pieds au-dessus d’elle, qui terminait par un talus assez roide ce côté du retranchement. Dans ce « Waréatoua, » maison consacrée, les prêtres ou les arikis enseignaient aux Zélandais un dieu en trois personnes, le père, le fils, et l’oiseau ou l’esprit. La hutte, vaste, bien close, renfermait la nourriture sainte et choisie, que Maoui-Ranga-Rangui mange par la bouche de ses prêtres.

Là, les captifs, momentanément abrités contre la fureur indigène, s’étendirent sur des nattes de phormium. Lady Helena, ses forces épuisées, son énergie morale vaincue, se laissa aller dans les bras de son mari.

Glenarvan, la pressant sur sa poitrine, lui répétait :

« Courage, ma chère Helena, le ciel ne nous abandonnera pas ! »

Robert, à peine enfermé, se hissa sur les épaules de Wilson, et parvint à glisser sa tête par un interstice ménagé entre le toit et la muraille, où pendaient des chapelets d’amulettes. De là, son regard embrassait toute l’étendue du pah jusqu’à la case de Kai-Koumou.

« Ils sont assemblés autour du chef, dit-il à voix basse… Ils agitent leurs bras… Ils poussent des hurlements… Kai-Koumou veut parler… »

L’enfant se tut pendant quelques minutes, puis il reprit :

« Kai-Koumou parle… Les sauvages se calment… Ils l’écoutent…