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les enfants

fut reconnu « grand chef » de tout le pays, et quatre plumes blanches ornèrent ses cheveux en signes honorifiques.

Trente-trois jours s’écoulèrent ainsi depuis l’arrivée des vaisseaux à la Baie des Îles. Les travaux de la mâture avançaient ; les caisses à eau se remplissaient à l’aiguade de Motou-Aro. Le capitaine Crozet dirigeait en personne le poste des charpentiers, et jamais espérances ne furent plus fondées de voir une entreprise menée à bonne fin.

Le 12 juin à deux heures, le canot du commandant fut paré pour une partie de pêche projetée au pied du village de Takouri. Marion s’y embarqua avec les deux jeunes officiers Vaudricourt et Lehoux, un volontaire, le capitaine d’armes et douze matelots. Takouri et cinq autres chefs l’accompagnaient. Rien ne pouvait faire prévoir l’épouvantable catastrophe qui attendait seize Européens sur dix-sept.

Le canot déborda, fila vers la terre, et des deux vaisseaux on le perdit bientôt de vue.

Le soir, le capitaine Marion ne revint pas coucher à bord. Personne ne fut inquiet de son absence. On supposa qu’il avait voulu visiter le chantier de la mâture et y passer la nuit.

Le lendemain, à cinq heures, la chaloupe du Castries alla, suivant son habitude, faire de l’eau à l’île de Motou-Aro. Elle revint à bord sans incident.

À neuf heures, le matelot de garde du Mascarin aperçut en mer un homme presque épuisé qui nageait vers les vaisseaux. Un canot alla à son secours et le ramena à bord.

C’était Turner, un des chaloupiers du capitaine Marion. Il avait au flanc une blessure produite par deux coups de lance, et il revenait seul des dix-sept hommes qui, la veille, avaient quitté le navire.

On l’interrogea, et bientôt furent connus tous les détails de cet horrible drame.

Le canot de l’infortuné Marion avait accosté le village à sept heures du matin. Les sauvages vinrent gaiement au-devant des visiteurs. Ils portèrent sur leurs épaules les officiers et les matelots qui ne voulaient point se mouiller en débarquant. Puis, les Français se séparèrent les uns des autres.

Aussitôt, les sauvages, armés de lances, de massues et de casse-tête, s’élancèrent sur eux, dix contre un, et les massacrèrent. Le matelot Turner, frappé de deux coups de lance, put échapper à ses ennemis et se cacher dans des broussailles. De là, il fut témoin d’abominables scènes. Les sauvages dépouillèrent les morts de leurs vêtements, leur ouvrirent le ventre, les hachèrent en morceaux...