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— Sans doute, l’Espagne, capitale Gibraltar.

— Admirable ! parfait ! sublime ! Et la France, car je suis Français, et je ne serais pas fâché d’apprendre à qui j’appartiens !

— La France, répondit tranquillement Toliné, c’est une province anglaise, chef-lieu Calais.

— Calais ! s’écria Paganel. Comment ! tu crois que Calais appartient encore à l’Angleterre ?

— Sans doute.

— Et que c’est le chef-lieu de la France ?

— Oui, Monsieur, et c’est là que réside le gouverneur, lord Napoléon… »

À ces derniers mots, Paganel éclata. Toliné ne savait que penser. On l’avait interrogé, il avait répondu de son mieux. Mais la singularité de ses réponses ne pouvait lui être imputée ; il ne la soupçonnait même pas. Cependant il ne paraissait point déconcerté, et il attendait gravement la fin de ces incompréhensibles ébats.

« Vous le voyez, dit en riant le major à Paganel. N’avais-je pas raison de prétendre que l’élève Toliné vous en remontrerait ?

— Certes ! ami major, répliqua le géographe. Ah ! voilà comme on enseigne la géographie à Melbourne ! Ils vont bien, les professeurs de l’École normale ! L’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique, l’Océanie, le monde entier, tout aux Anglais ! Parbleu, avec cette éducation ingénieuse, je comprends que les indigènes se soumettent ! Ah çà ! Toliné, et la lune, mon garçon, est-ce qu’elle est anglaise aussi ?

— Elle le sera, » répondit gravement le jeune sauvage.

Là-dessus, Paganel se leva. Il ne pouvait plus tenir en place. Il lui fallait rire tout à son aise, et il alla passer son accès à un quart de mille du campement.

Cependant, Glenarvan avait été chercher un livre dans la petite bibliothèque de voyage. C’était le Précis de géographie de Samuel Richardson, un ouvrage estimé en Angleterre, et plus au courant de la science que les professeurs de Melbourne.

« Tiens, mon enfant, dit-il à Toliné, prends et garde ce livre. Tu as quelques idées fausses en géographie qu’il est bon de réformer. Je te le donne en souvenir de notre rencontre. »

Toliné prit le livre sans répondre ; il le regarda attentivement, remuant la tête d’un air d’incrédulité, sans se décider à le mettre dans sa poche.

Cependant, la nuit était tout à fait venue. Il était dix heures du soir. Il fallait songer au repos afin de se lever de grand matin. Robert offrit à son ami Toliné la moitié de sa couchette. Le petit indigène accepta.