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entre toutes ces merveilles naturelles, et ne savait où fixer son admiration.

La petite troupe s’était arrêtée un instant. Ayrton, sur l’ordre de lady Helena, avait retenu son attelage. Les gros disques du chariot cessaient de crier sur le sable quartzeux. De longs tapis verts s’étendaient sous les groupes d’arbres ; seulement, quelques extumescences du sol, des renflements réguliers, les divisaient en cases encore assez apparentes, comme un vaste échiquier.

Paganel ne se trompa pas à la vue de ces verdoyantes solitudes, si poétiquement disposées pour l’éternel repos. Il reconnut ces carrés funéraires, dont l’herbe efface maintenant les dernières traces, et que le voyageur rencontre si rarement sur la terre australienne.

« Les bocages de la mort, » dit-il.

En effet, un cimetière indigène était là, devant ses yeux, mais si frais, si ombragé, si égayé par de joyeuses volées d’oiseaux, si engageant, qu’il n’éveillait aucune idée triste. On l’eût pris volontiers pour un des jardins de l’Éden, alors que la mort était bannie de la terre. Il semblait fait pour les vivants. Mais ces tombes, que le sauvage entretenait avec un soin pieux, disparaissaient déjà sous une marée montante de verdure. La conquête avait chassé l’Australien loin de la terre où reposaient ses ancêtres, et la colonisation allait bientôt livrer ces champs de la mort à la dent des troupeaux. Aussi ces bocages sont-ils devenus rares, et combien déjà sont foulés aux pieds du voyageur indifférent, qui recouvrent toute une génération récente.

Cependant Paganel et Robert, devançant leurs compagnons, suivaient entre les tumuli de petites allées ombreuses. Ils causaient et s’instruisaient l’un l’autre, car le géographe prétendait qu’il gagnait beaucoup à la conversation du jeune Grant. Mais ils n’avaient pas fait un quart de mille, que lord Glenarvan les vit s’arrêter, puis descendre de cheval, et enfin se pencher vers la terre. Ils paraissaient examiner un objet très-curieux, à en croire leurs gestes expressifs.

Ayrton piqua son attelage, et le chariot ne tarda pas à rejoindre les deux amis. La cause de leur halte et de leur étonnement fut aussitôt reconnue. Un enfant indigène, un petit garçon de huit ans, vêtu d’habits européens, dormait d’un paisible sommeil à l’ombre d’un magnifique banksia. Il était difficile de se méprendre aux traits caractéristiques de sa race : ses cheveux crépus, son teint presque noir, son nez épaté, ses lèvres épaisses, une longueur peu ordinaire des bras, le classaient immédiatement parmi les naturels de l’intérieur. Mais une intelligente physionomie le distinguait, et certainement l’éducation avait déjà relevé ce jeune sauvage de sa basse origine.