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escorté par la police indigène, venait des usines de Bendigo et du mont Alexandre. Tout ce monde éperonné par l’intérêt ne songeait qu’à ses affaires, et les étrangers passèrent inaperçus au milieu de cette population laborieuse.

Après une heure employée à parcourir Carlsbrook, les deux visiteurs rejoignirent leurs compagnons à travers une campagne soigneusement cultivée. De longues prairies, connues sous le nom de « Low Level plains, » lui succédèrent avec d’innombrables troupeaux de moutons et des huttes de bergers. Puis le désert se montra, sans transition, avec cette brusquerie particulière à la nature australienne. Les collines de Simpson et le mont Tarrangower marquaient la pointe que fait au sud le district de Loddo sur le cent quarante-quatrième degré de longitude.

Cependant, on n’avait rencontré jusqu’ici aucune de ces tribus d’aborigènes qui vivent à l’état sauvage. Glenarvan se demandait si les Australiens manqueraient à l’Australie comme avaient manqué les Indiens dans la Pampasie argentine. Mais Paganel lui apprit que, sous cette latitude, les sauvages fréquentaient principalement les plaines du Murray, situées à cent milles dans l’est.

« Nous approchons du pays de l’or, dit-il. Avant deux jours nous traverserons cette opulente région du mont Alexandre. C’est là que s’est abattue en 1852 la nuée des mineurs. Les naturels ont dû s’enfuir vers les déserts de l’intérieur. Nous sommes en pays civilisé sans qu’il y paraisse, et notre route, avant la fin de cette journée, aura coupé le railway qui met en communication le Murray et la mer. Eh bien, faut-il le dire, mes amis, un chemin de fer en Australie, voilà qui me paraît une chose surprenante !

— Et pourquoi donc, Paganel ? demanda Glenarvan.

— Pourquoi ! parce que cela jure ! Oh ! je sais bien que vous autres, habitués à coloniser des possessions lointaines, vous qui avez des télégraphes électriques et des expositions universelles dans la Nouvelle-Zélande, vous trouverez cela tout simple ! Mais cela confond l’esprit d’un Français comme moi et brouille toutes ses idées sur l’Australie.

— Parce que vous regardez le passé et non le présent, répondit John Mangles.

— D’accord, répondit Paganel ; mais des locomotives hennissant à travers les déserts, des volutes de vapeur s’enroulant autour des mimosas et des eucalyptus, des échidnés, des ornythorhynques et des casoars fuyant devant les trains de vitesse, des sauvages prenant l’express de trois heures trente pour aller de Melbourne à Kyneton, à Castlemaine, à Sandhurst ou à Echuca, voilà ce qui étonnera tout autre qu’un Anglais ou un Américain. Avec vos railways s’en va la poésie du désert.