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lisse, étendaient leurs branches et leur feuillage d’un vert foncé sur de grasses prairies où pullulaient des bandes joyeuses de gerboises. Plus tard, ce furent de vastes champs de broussailles et de jeunes gommiers ; puis les groupes s’écartèrent, les arbustes isolés se firent arbres, et présentèrent le premier spécimen des forêts de l’Australie.

Cependant, aux approches de la frontière victorienne, l’aspect du pays se modifiait sensiblement. Les voyageurs sentaient qu’ils foulaient du pied une terre nouvelle. Leur imperturbable direction, c’était toujours la ligne droite, sans qu’aucun obstacle, lac ou montagne, les obligeât à la changer en ligne courbe ou brisée. Ils mettaient invariablement en pratique le premier théorème de la géométrie, et suivaient, sans se détourner, le plus court chemin d’un point à un autre. De fatigue et de difficultés, ils ne s’en doutaient pas. Leur marche se conformait à la lente allure des bœufs, et si ces tranquilles animaux n’allaient pas vite, du moins allaient-ils sans jamais s’arrêter.

Ce fut ainsi qu’après une traite de soixante milles fournie en deux jours, la caravane atteignit, le 23 au soir, la paroisse d’Aspley, première ville de la province de Victoria, située sur le cent quarante et unième degré de longitude, dans le district de Wimerra.

Le chariot fut remisé par les soins d’Ayrton à Crown’s Inn, une auberge qui, faute de mieux, s’appelait l’Hôtel de la Couronne. Le souper, uniquement composé de mouton accommodé sous toutes les formes, fumait sur la table.

On mangea beaucoup, mais l’on causa plus encore. Chacun, désireux de s’instruire sur les singularités du continent australien, interrogea avidement le géographe. Paganel ne se fit pas prier, et raconta cette province victorienne, qui fut nommée l’Australie-Heureuse.

« Fausse qualification ! dit-il. On eût mieux fait de l’appeler l’Australie riche, car il en est des pays comme des individus : la richesse ne fait pas le bonheur. L’Australie, grâce à ses mines d’or, a été livrée à la bande dévastatrice et féroce des aventuriers. Vous verrez cela quand nous traverserons les terrains aurifères.

— La colonie de Victoria n’a-t-elle pas une origine assez récente ? demanda lady Glenarvan.

— Oui, Madame, elle ne compte encore que trente ans d’existence. Ce fut le 6 juin 1835, un mardi...

— À sept heures un quart du soir, ajouta le major, qui aimait à chicaner Paganel sur la précision de ses dates.

— Non, à sept heures dix minutes, reprit sérieusement le géographe, que Batman et Falckner fondèrent un établissement à Port-Philippe, sur