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d’ingénieurs que d’agriculteurs, et l’esprit général est peu tourné vers les opérations commerciales ou les arts mécaniques.

Le Duncan pourrait-il réparer ses avaries ? C’était la question à décider. John Mangles voulut savoir à quoi s’en tenir. Il fit plonger à l’arrière du yacht ; ses plongeurs lui rapportèrent qu’une des branches de l’hélice avait été faussée, et portait contre l’étambot[1] : de là, l’impossibilité du mouvement de rotation. Cette avarie fut jugée grave, assez grave même pour nécessiter un outillage qui ne se rencontrerait pas à Adélaïde.

Glenarvan et le capitaine John, après mûres réflexions, prirent la résolution suivante : le Duncan suivrait à la voile le contour des rivages australiens, en cherchant les traces du Britannia ; il s’arrêterait au cap Bernouilli, où seraient prises les dernières informations, et continuerait sa route au sud jusqu’à Melbourne, où ses avaries pourraient être facilement réparées. L’hélice remise en état, le Duncan irait croiser sur les côtes orientales pour achever la série de ses recherches.

Cette proposition fut approuvée. John Mangles résolut de profiter du premier bon vent pour appareiller. Il n’attendit pas longtemps. Vers le soir, l’ouragan était entièrement tombé. Une brise maniable lui succéda, qui soufflait du sud-ouest. On fit les dispositions pour l’appareillage. De nouvelles voiles furent enverguées. À quatre heures du matin, les matelots virèrent au cabestan. Bientôt l’ancre fut à pic, elle dérapa, et le Duncan, sous sa misaine, son hunier, son perroquet, ses focs, sa brigantine et sa voile de flèche, courut au plus près, tribord amures, au vent des rivages australiens.

Deux heures après, il perdit de vue le cap Catastrophe, et se trouva par le travers du détroit de l’Investigator. Le soir, le cap Borda fut doublé, et l’île Kanguroo prolongée à quelques encâblures. C’est la plus grande des petites îles australiennes, et elle sert de refuge aux déportés fugitifs. Son aspect était enchanteur. D’immenses tapis de verdure revêtaient les rocs stratifiés de ses rivages. On voyait comme au temps de sa découverte, en 1802, d’innombrables bandes de kanguroos bondir à travers les bois et les plaines. Le lendemain, pendant que le Duncan courait bord sur bord, ses embarcations furent envoyées à terre avec mission de visiter les accores de la côte. Il se trouvait alors sur le trente-sixième parallèle, et jusqu’au trente-huitième, Glenarvan ne voulait pas laisser un point inexploré.

Pendant la journée du 18 décembre, le yacht, qui boulinait comme un vrai clipper sous sa voilure entièrement déployée, rasa de près le rivage

  1. Pièce de charpente qui termine la navire à l’arrière.