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comme à bord du Duncan ; tous descendaient des vassaux de Mac Gregor, de Mac Farlane, de Mac Nabbs, de Mac Naughtons, c’est-à-dire qu’ils étaient enfants des comtés de Stirling et de Dumbarton : braves gens, dévoués corps et âme à leur maître, et dont quelques-uns parlaient encore le gaélique de la vieille Calédonie.

Lord Glenarvan possédait une fortune immense ; il l’employait à faire beaucoup de bien ; sa bonté l’emportait encore sur sa générosité, car l’une était infinie, si l’autre avait forcément des bornes. Le seigneur de Luss, « le laird » de Malcolm, représentait son comté à la chambre des lords. Mais avec ses idées jacobites, peu soucieux de plaire à la maison de Hanovre, il était assez mal vu des hommes d’État d’Angleterre, et surtout par ce motif qu’il s’en tenait aux traditions de ses aïeux et résistait énergiquement aux empiétements politiques de « ceux du Sud. »

Ce n’était pourtant pas un homme arriéré que lord Edward Glenarvan, ni de petit esprit, ni de mince intelligence ; mais tout en tenant les portes de son comté largement ouvertes au progrès, il restait Écossais dans l’âme, et c’était pour la gloire de l’Écosse qu’il allait lutter avec ses yachts de course dans les « matches » du Royal-Thames-Yacht-Club.

Edward Glenarvan avait trente-deux ans ; sa taille était grande, ses traits un peu sévères, son regard d’une douceur infinie, sa personne toute empreinte de la poésie highlandaise. On le savait brave à l’excès, entreprenant, chevaleresque, un Fergus du XIXe siècle, mais bon par-dessus toute chose, meilleur que saint Martin lui-même, car il eût donné son manteau tout entier aux pauvres gens des hautes terres.

Lord Glenarvan était marié depuis trois mois à peine ; il avait épousé miss Helena Tuffnel, la fille du grand voyageur William Tuffnel, l’une des nombreuses victimes de la science géographique et de la passion des découvertes.

Miss Helena n’appartenait pas à une famille noble, mais elle était Écossaise, ce qui valait toutes les noblesses aux yeux de lord Glenarvan ; de cette jeune personne charmante, courageuse, dévouée, le seigneur de Luss avait fait la compagne de sa vie. Un jour, il la rencontra vivant seule, orpheline, à peu près sans fortune, dans la maison de son père, à Kilpatrick. Il comprit que la pauvre fille ferait une vaillante femme ; il l’épousa. Miss Helena avait vingt-deux ans ; c’était une jeune personne blonde, aux yeux bleus comme l’eau des lacs écossais par un beau matin du printemps. Son amour pour son mari l’emportait encore sur sa reconnaissance. Elle l’aimait comme si elle eût été la riche héritière, et lui l’orphelin abandonné. Quant à ses fermiers et à ses serviteurs, ils étaient prêts à