dans le lit de branches qui lui avait été dévolu. Si l’on ne pouvait éviter les eaux du ciel, au moins fallait-il se garer des eaux de la terre, et ne point tomber dans ce rapide courant qui se brisait au pied de l’arbre.
On se souhaita une bonne nuit sans trop l’espérer. Puis, chacun se glissant dans sa couche aérienne, s’enveloppa de son poncho et attendit le sommeil.
Mais l’approche des grands phénomènes de la nature jette au cœur de tout être sensible une vague inquiétude, dont les plus forts ne sauraient se défendre. Les hôtes de l’ombu, agités, oppressés, ne purent clore leur paupière, et le premier coup de tonnerre les trouva tout éveillés. Il se produisit un peu avant onze heures sous la forme d’un roulement éloigné. Glenarvan gagna l’extrémité de la branche horizontale et hasarda sa tête hors du feuillage.
Le fond noir du soir était déjà scarifié d’incisions vives et brillantes que les eaux du lac réverbéraient avec netteté. La nue se déchirait en maint endroit, mais comme un tissu mou et cotonneux, sans bruit strident. Glenarvan, après avoir observé le zénith et l’horizon qui se confondaient dans une égale obscurité, revint au sommet du tronc.
« Qu’en dites-vous, Glenarvan ? demanda Paganel.
— Je dis que cela commence bien, mes amis, et si cela continue, l’orage sera terrible.
— Tant mieux, répondit l’enthousiaste Paganel, j’aime autant un beau spectacle, puisque je ne puis le fuir.
— Voilà encore une de vos théories qui va éclater, dit le major.
— Et l’une de mes meilleures, Mac Nabbs. Je suis de l’avis de Glenarvan, l’orage sera superbe. Tout à l’heure, pendant que j’essayais de dormir, plusieurs faits me sont revenus à la mémoire, qui me le font espérer, car nous sommes ici dans la région des grandes tempêtes électriques. J’ai lu quelque part, en effet, qu’en 1793, précisément dans la province de Buénos-Ayres, le tonnerre est tombé trente-sept fois pendant un seul orage. Mon collègue, M. Martin de Moussy, a compté jusqu’à cinquante-cinq minutes de roulement non interrompu.
— Montre en main ? dit le major.
— Montre en main. Une seule chose m’inquiéterait, ajouta Paganel, si l’inquiétude servait à éviter le danger, c’est que l’unique point culminant de cette plaine est précisément l’ombu où nous sommes. Un paratonnerre serait ici fort utile, car précisément cet arbre est, entre tous ceux de la Pampa, celui que la foudre affectionne particulièrement. Et puis, vous ne l’ignorez pas, mes amis, les savants recommandent de ne point chercher refuge sous les arbres pendant l’orage.