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ticularité curieuse de la cosmographie patagone. Aux yeux de ces poétiques Indiens, Orion représente un immense lazo et trois bolas lancées par la main du chasseur qui parcourt les célestes prairies. Toutes ces constellations, reflétées dans le miroir des eaux, provoquaient les admirations du regard en créant autour de lui comme un double ciel.

Pendant que le savant Paganel discourait ainsi, tout l’horizon de l’est prenait un aspect orageux. Une barre épaisse et sombre, nettement tranchée, y montait peu à peu en éteignant les étoiles. Ce nuage, d’apparence sinistre, envahit bientôt une moitié de la voûte qu’il semblait combler. Sa force motrice devait résider en lui, car il n’y avait pas un souffle de vent. Les couches atmosphériques conservaient un calme absolu. Pas une feuille ne remuait à l’arbre, pas une ride ne plissait la surface des eaux. L’air même paraissait manquer, comme si quelque vaste machine pneumatique l’eût raréfié. Une électricité à haute tension saturait l’atmosphère, et tout être vivant la sentait courir le long de ses nerfs.

Glenarvan, Paganel et Robert furent sensiblement impressionnés par ces ondes électriques.

« Nous allons avoir de l’orage, dit Paganel.

— Tu n’as pas peur du tonnerre ? demanda Glenarvan au jeune garçon.

— Oh ! mylord, répondit Robert.

— Eh bien, tant mieux, car l’orage n’est pas loin.

— Et il sera fort, reprit Paganel, si j’en juge par l’état du ciel.

— Ce n’est pas l’orage qui m’inquiète, reprit Glenarvan, mais bien des torrents de pluie dont il sera accompagné. Nous serons trempés jusqu’à la moëlle des os. Quoi que vous disiez, Paganel, un nid ne peut suffire à un homme, et vous l’apprendrez bientôt à vos dépens.

— Oh ! avec de la philosophie ! répondit le savant.

— La philosophie, ça n’empêche pas d’être mouillé !

— Non, mais ça réchauffe.

— Enfin, dit Glenarvan, rejoignons nos amis et engageons-les à s’envelopper de leur philosophie et de leurs ponchos le plus étroitement possible, et surtout à faire provision de patience, car nous en aurons besoin ! »

Glenarvan jeta un dernier regard sur le ciel menaçant. La masse des nuages le couvrait alors tout entier. À peine une bande indécise vers le couchant s’éclairait-elle de lueurs crépusculaires. L’eau revêtait une teinte sombre et ressemblait à un grand nuage inférieur prêt à se confondre avec les lourdes vapeurs. L’ombre même n’était plus visible. Les sensations de lumière ou de bruit n’arrivaient ni aux yeux ni aux oreilles. Le silence devenait aussi profond que l’obscurité.