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ble qualité de chasseur et de cuisinier. Le savant accepta ces congratulations avec la modestie qui sied au vrai mérite. Puis, il se livra à des considérations curieuses sur ce magnifique ombu qui l’abritait de son feuillage, et dont, selon lui, les profondeurs étaient immenses.

« Robert et moi, ajouta-t-il plaisamment, nous nous croyions en pleine forêt pendant la chasse. J’ai cru un moment que nous allions nous perdre. Je ne pouvais plus retrouver mon chemin ! Le soleil déclinait à l’horizon ! Je cherchais en vain la trace de mes pas. La faim se faisait cruellement sentir ! Déjà les sombres taillis retentissaient du rugissement des bêtes féroces… C’est-à-dire, non ! il n’y a pas de bêtes féroces, et je le regrette !

— Comment ! dit Glenarvan, vous regrettez les bêtes féroces ?

— Oui ! certes.

— Cependant, quand on a tout à craindre de leur férocité…

— La férocité n’existe pas… scientifiquement parlant, répondit le savant.

— Ah ! pour le coup, Paganel, dit le major, vous ne me ferez jamais admettre l’utilité des bêtes féroces ! À quoi servent-elles ?

— Major, s’écria Paganel, mais elles servent à faire des classifications, des ordres, des familles, des genres, des sous-genres, des espèces…

— Bel avantage ! dit Mac Nabbs. Je m’en passerais bien ! Si j’avais été l’un des compagnons de Noé au moment du déluge, j’aurais certainement empêché cet imprudent patriarche de mettre dans l’arche des couples de lions, de tigres, de panthères, d’ours et autres animaux aussi malfaisants qu’inutiles !

— Vous auriez fait cela ? demanda Paganel.

— Je l’aurais fait.

— Eh bien ! vous auriez eu tort au point de vue zoologique !

— Non pas au point de vue humain, répondit le major.

— C’est révoltant ! reprit Paganel, et pour mon compte, au contraire, j’aurais précisément conservé les mégatheriums, les ptérodactyles, et tous les êtres antédiluviens dont nous sommes si malheureusement privés…

— Je vous dis, moi, répliqua Mac Nabbs, que Noé a bien fait de les abandonner à leur sort, en admettant qu’ils vécussent de son temps.

— Je vous dis, moi, que Noé a mal agi, repartit Paganel, et qu’il a mérité jusqu’à la fin des siècles la malédiction des savants ! »

Les auditeurs de Paganel et du major ne pouvaient s’empêcher de rire en voyant les deux amis se disputer sur le dos du vieux Noé. Le major, contrairement à tous ses principes, lui qui de sa vie n’avait discuté avec personne, était chaque jour aux prises avec Paganel. Il faut croire que le savant l’excitait particulièrement.