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Il était alors quatre heures du soir. On résolut de souper à six. Paganel voulut célébrer par un festin splendide cette heureuse journée. Or, le menu étant très-restreint, il proposa à Robert d’aller chasser « dans la forêt prochaine. » Robert battit des mains à cette bonne idée. On prit la poudrière de Thalcave, on nettoya les revolvers, on les chargea de petit plomb, et l’on partit.

« Ne vous éloignez pas, » dit gravement le major aux deux chasseurs.

Après leur départ, Glenarvan et Mac Nabbs allèrent consulter les marques entaillées dans l’arbre, tandis que Wilson et Mulrady rallumaient les charbons du brasero.

Glenarvan, descendu à la surface de l’immense lac, ne vit aucun symptôme de décroissance. Cependant les eaux semblaient avoir atteint leur maximum d’élévation ; mais la violence avec laquelle elles s’écoulaient du sud au nord prouvait que l’équilibre ne s’était pas encore établi entre les fleuves argentins. Avant de baisser, il fallait d’abord que cette masse liquide demeurât étale, comme la mer au moment où le flot finit et le jusant commence. On ne pouvait donc pas compter sur un abaissement des eaux tant qu’elles courraient vers le nord avec cette torrentueuse rapidité.

Pendant que Glenarvan et le major faisaient leurs observations, des coups de feu retentirent dans l’arbre, accompagnés de cris de joie presque aussi bruyants. Le soprano de Robert jetait de fines roulades sur la basse de Paganel. C’était à qui serait le plus enfant. La chasse s’annonçait bien, et laissait pressentir des merveilles culinaires. Lorsque le major et Glenarvan furent revenus auprès du brasero, ils eurent d’abord à féliciter Wilson d’une excellente idée. Ce brave marin, au moyen d’une épingle et d’un bout de ficelle, s’était livré à une pêche miraculeuse. Plusieurs douzaines de petits poissons, délicats comme des éperlans, et nommés « mojarras, » frétillaient dans un pli de son poncho, et promettaient de faire un plat exquis.

En ce moment, les chasseurs redescendirent des cimes de l’ombu. Paganel portait prudemment des œufs d’hirondelle noire, et un chapelet de moineaux qu’il devait présenter plus tard sous le nom de mauviettes. Robert avait adroitement abattu plusieurs paires « d’hilgueros, » petits oiseaux verts et jaunes, excellents à manger, et fort demandés sur le marché de Montevideo. Paganel, qui connaissait cinquante et une manières de préparer les œufs, dut se borner cette fois à les faire durcir sous les cendres chaudes. Néanmoins, le repas fut aussi varié que délicat. La viande sèche, les œufs durs, les mojarras grillés, les moineaux et les hilgueros rôtis composèrent un de ces festins dont le souvenir est impérissable.

La conversation fut très-gaie. On complimenta fort Paganel en sa dou-