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et l’agile Wilson, à peine juchés dans l’arbre, se hâtèrent de grimper jusqu’à ses branches supérieures. Leur tête trouait alors le dôme de verdure. De ce point culminant, la vue embrassait un vaste horizon. L’océan créé par l’inondation les entourait de toutes parts, et les regards, si loin qu’ils s’étendissent, ne purent en apercevoir la limite. Aucun arbre ne sortait de la plaine liquide ; l’ombu, seul au milieu des eaux débordées, frémissait à leur choc. Au loin, dérivant du sud au nord, passaient, emportés par l’impétueux courant, des troncs déracinés, des branches tordues, des chaumes arrachés à quelque rancho démoli, des poutres de hangars volées par les eaux aux toits des estancias, des cadavres d’animaux noyés, des peaux sanglantes, et sur un arbre vacillant toute une famille de jaguars rugissants qui se cramponnaient des griffes à leur radeau fragile. Plus loin encore un point noir, presque invisible déjà, attira l’attention de Wilson. C’était Thalcave et son fidèle Thaouka, qui disparaissaient dans l’éloignement.

« Thalcave, ami Thalcave ! s’écria Robert, en tendant la main vers le courageux Patagon.

— Il se sauvera, Monsieur Robert, répondit Wilson, mais allons rejoindre Son Honneur. »

Un instant après, Robert Grant et le matelot descendaient les trois étages de branches et se trouvaient au sommet du tronc. Là Glenarvan, Paganel, le major, Austin et Mulrady, étaient assis, à cheval ou accrochés suivant leurs aptitudes naturelles. Wilson rendit compte de sa visite à la cime de l’ombu. Tous partagèrent son opinion à l’égard de Thalcave. Il n’y eut doute que sur la question de savoir si ce serait Thalcave qui sauverait Thaouka, ou Thaouka qui sauverait Thalcave.

La situation des hôtes de l’ombu était, sans contredit, beaucoup plus alarmante. L’arbre ne céderait pas sans doute à la force du courant, mais l’inondation croissante pouvait gagner ses hautes branches, car la dépression du sol faisait de cette partie de la plaine un profond réservoir. Le premier soin de Glenarvan fut donc d’établir, au moyen d’entailles, des points de repère qui permissent d’observer les divers niveaux d’eau. La crue, stationnaire alors, paraissait avoir atteint sa plus grande élévation. C’était déjà rassurant.

« Et maintenant, qu’allons-nous faire ? dit Glenarvan.

— Faire notre nid, parbleu ! répondit gaiement Paganel.

— Faire notre nid ! s’écria Robert.

— Sans doute, mon garçon, et vivre de la vie des oiseaux, puisque nous ne pouvons vivre de la vie des poissons.

— Bien ! dit Glenarvan, mais qui nous donnera la becquée ?