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geants de l’antiquité, et, une heure après, le champ de cornes restait à deux milles en arrière.

Thalcave observait avec une certaine anxiété cet état de choses qui ne lui semblait pas ordinaire. Il s’arrêtait souvent et se dressait sur ses étriers. Sa grande taille lui permettait d’embrasser du regard un vaste horizon ; mais n’apercevant rien qui pût l’éclairer, il reprenait bientôt sa marche interrompue. Un mille plus loin, il s’arrêtait encore, puis, s’écartant de la ligne suivie, il faisait une pointe de quelques milles, tantôt au nord, tantôt au sud, et revenait prendre la tête de la troupe, sans dire ni ce qu’il espérait, ni ce qu’il craignait. Ce manège, maintes fois répété, intrigua Paganel et inquiéta Glenarvan. Le savant fut donc invité à interroger l’Indien. Ce qu’il fit aussitôt.

Thalcave lui répondit qu’il s’étonnait de voir la plaine imprégnée d’eau. Jamais, à sa connaissance, et depuis qu’il exerçait le métier de guide, ses pieds n’avaient foulé un sol si détrempé. Même à la saison des grandes pluies, la campagne argentine offrait toujours des passes praticables.

« Mais à quoi attribuer cette humidité croissante ? demanda Paganel.

— Je ne sais, répondit l’Indien, et quand je le saurais !…

— Est-ce que les rios des sierras grossis par les pluies ne débordent jamais ?

— Quelquefois.

— Et maintenant, peut-être ?

— Peut-être ! » dit Thalcave.

Paganel dut se contenter de cette demi-réponse, et il fit connaître à Glenarvan le résultat de sa conversation.

« Et que conseille Thalcave ? dit Glenarvan.

— Qu’y a-t-il à faire ? demanda Paganel au Patagon.

— Marcher vite, » répondit l’Indien.

Conseil plus facile à donner qu’à suivre. Les chevaux se fatiguaient promptement à fouler un sol qui fuyait sous eux ; la dépression s’accusait de plus en plus, et cette partie de la plaine pouvait être assimilée à un immense bas-fond, où les eaux envahissantes devaient rapidement s’accumuler. Il importait donc de franchir sans retard ces terrains en contre-bas qu’une inondation eût immédiatement transformés en lac.

On hâta le pas. Mais ce ne fut pas assez de cette eau qui se déroulait en nappes sous le pied des chevaux. Vers deux heures, les cataractes du ciel s’ouvrirent, et des torrents d’une pluie tropicale se précipitèrent sur la plaine. Jamais plus belle occasion ne se présenta de se montrer philosophe. Nul moyen de se soustraire à ce déluge, et mieux valait le recevoir stoïquement. Les ponchos étaient ruisselants ; les chapeaux les arrosaient