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— J’en étais sûr ! reprit le savant d’un air de satisfaction. Cela n’a pas empêché le plus orgueilleux des gens modestes, mon illustre compatriote Chateaubriand, d’avoir fait cette comparaison inexacte entre les flamants et les flèches ! Ah ! Robert, la comparaison, vois-tu bien, c’est la plus dangereuse figure de rhétorique que je connaisse. Défie-t’en toute la vie, et ne l’emploie qu’à la dernière extrémité.

— Ainsi vous êtes satisfait de votre expérience ? dit le major.

— Enchanté.

— Et moi aussi, mais pressons nos chevaux, car votre illustre Chateaubriand nous a mis d’un mille en arrière. »

Lorsqu’il eut rejoint ses compagnons, Paganel trouva Glenarvan en grande conversation avec l’Indien qu’il ne semblait pas comprendre. Thalcave s’était souvent arrêté pour observer l’horizon, et chaque fois son visage avait exprimé un assez vif étonnement.

Glenarvan, ne voyant pas auprès de lui son interprète ordinaire, avait essayé, mais en vain, d’interroger l’indien. Aussi, du plus loin qu’il aperçut le savant, il lui cria :

« Arrivez donc, ami Paganel, Thalcave et moi, nous ne parvenons guère à nous entendre ! »

Paganel s’entretint pendant quelques minutes avec le Patagon, et se retournant vers Glenarvan :

« Thalcave, lui dit-il, s’étonne d’un fait qui est véritablement bizarre.

— Lequel ?

— C’est de ne rencontrer ni Indiens ni traces d’Indiens dans ces plaines, qui sont ordinairement sillonnées de leurs bandes, soit qu’ils chassent devant eux le bétail volé aux estancias, soit qu’ils aillent jusqu’aux Andes vendre leurs tapis de zorillo et leurs fouets en cuir tressé.

— Et à quoi Thalcave attribue-t-il cet abandon ?

— Il ne saurait le dire, il s’en étonne, voilà tout.

— Mais quels Indiens comptait-il trouver dans cette partie des Pampas ?

— Précisément ceux qui ont eu des prisonniers étrangers entre leurs mains, ces indigènes que commandent les caciques Calfoucoura, Catriel ou Yanchetruz.

— Quels sont ces gens-là ?

— Des chefs de bandes qui étaient tout-puissants il y a une trentaine d’années, avant qu’ils eussent été rejetés au delà des sierras. Depuis cette époque, ils se sont soumis autant qu’un Indien peut se soumettre, et ils battent la plaine de la Pampasie aussi bien que la province de Buénos-Ayres. Je m’étonne donc avec Thalcave de ne pas rencontrer leurs