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Quant à Paganel, il ne quittait pas l’Indien ; il se faisait l’ombre de Thalcave. Il ne se sentait pas d’aise de voir un vrai Patagon, auprès duquel il eût passé pour un nain, un Patagon qui pouvait presque rivaliser avec cet empereur Maximin et ce nègre du Congo vu par le savant Van der Brock, hauts de huit pieds tous les deux ! Puis il assommait le grave Indien de phrases espagnoles, et celui-ci se laissait faire. Le géographe étudiait, sans livre cette fois. On l’entendait articuler des mots retentissants à l’aide du gosier, de la langue et des mâchoires.

« Si je n’attrape pas l’accent, répétait-il au major, il ne faudra pas m’en vouloir ! Mais qui m’eût dit qu’un jour ce serait un Patagon qui m’apprendrait l’espagnol ? »


CHAPITRE XVI


LE RIO-COLORADO.


Le lendemain 22 octobre, à huit heures, Thalcave donna le signal du départ. Le sol argentin entre le vingt-deuxième et le quarante-deuxième degré s’incline de l’ouest à l’est ; les voyageurs n’avaient plus qu’à descendre une pente douce jusqu’à la mer.

Quand le Patagon refusa le cheval que lui offrait Glenarvan, celui-ci pensa qu’il préférait aller à pied, suivant l’habitude de certains guides, et certes, ses longues jambes devaient lui rendre la marche facile.

Mais Glenarvan se trompait.

Au moment de partir, Thalcave siffla d’une façon particulière. Aussitôt un magnifique cheval argentin, de superbe taille, sortit d’un petit bois peu éloigné, et se rendit à l’appel de son maître. L’animal était d’une beauté parfaite ; sa couleur brune indiquait une bête de fond, fière, courageuse et vive ; il avait la tête légère et finement attachée, les naseaux largement ouverts, l’œil ardent, les jarrets larges, le garrot bien sorti, la poitrine haute, les paturons longs, c’est-à-dire toutes les qualités qui font la force et la souplesse. Le major, en parfait connaisseur, admira sans réserve cet échantillon de la race pampéenne auquel il trouva certaines ressemblances avec le « hunter » anglais. Ce bel animal s’appelait « Thaouka, » c’est-à-dire « oiseau » en langue patagone, et il méritait ce nom à juste titre.

Lorsque Thalcave fut en selle, son cheval bondit sous lui. Le Patagon,