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« Partir ? dit-il.

— Oui ! partir.

— Encore une heure !

— Oui, encore une heure, » répondit le digne major.

Et, l’heure écoulée, Glenarvan demanda en grâce qu’une autre heure lui fût accordée. On eût dit un condamné implorant une prolongation d’existence. Ce fut ainsi jusqu’à midi environ. Alors Mac Nabbs, de l’avis de tous, n’hésita plus, et dit à Glenarvan qu’il fallait partir, et que d’une prompte résolution dépendait la vie de ses compagnons.

« Oui ! oui ! répondit Glenarvan. Partons ! partons ! »

Mais, en parlant ainsi, ses yeux se détournaient de Mac Nabbs ; son regard fixait un point noir dans les airs. Soudain, sa main se leva et demeura immobile comme si elle eût été pétrifiée.

« Là ! là, dit-il, voyez ! voyez ! »

Tous les regards se portèrent vers le ciel, et dans la direction si impérieusement indiquée. En ce moment, le point noir grossissait visiblement. C’était un oiseau qui planait à une hauteur incommensurable.

« Un condor, dit Paganel.

— Oui, un condor, répondit Glenarvan. Qui sait ? il vient ! il descend ! attendons ! »

Qu’espérait Glenarvan ? Sa raison s’égarait-elle ? « Qui sait ? » avait-il dit. Paganel ne s’était pas trompé. Le condor devenait plus visible d’instants en instants. Ce magnifique oiseau, jadis révéré des Incas, est le roi des Andes méridionales. Dans ces régions il atteint un développement extraordinaire. Sa force est prodigieuse, et souvent il précipite des bœufs au fond des gouffres. Il s’attaque aux moutons, aux chevaux, aux jeunes veaux errants par les plaines, et les enlève dans ses serres à de grandes hauteurs. Il n’est pas rare qu’il plane à vingt mille pieds au-dessus du sol, c’est-à-dire à cette limite que l’homme ne peut pas franchir. De là, invisible aux meilleures vues, ce roi des airs promène un regard perçant sur les régions terrestres, et distingue les plus faibles objets avec une puissance de vision qui fait l’étonnement des naturalistes.

Qu’avait donc vu ce condor ? Un cadavre, celui de Robert Grant ! « Qui sait ? » répétait Glenarvan, sans le perdre du regard. L’énorme oiseau s’approchait, tantôt planant, tantôt tombant avec la vitesse des corps inertes abandonnés dans l’espace. Bientôt il décrivit des cercles d’un large rayon, à moins de cent toises du sol. On le distinguait parfaitement. Il mesurait plus de quinze pieds d’envergure. Ses ailes puissantes le portaient sur le fluide aérien presque sans battre, car c’est le propre des grands oiseaux de voler avec un calme majestueux, tandis que pour les sou-