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Lord Edward Glenarvan se trouvait à bord avec sa jeune femme, lady Helena, et l’un de ses cousins, le major Mac Nabbs.

Le Duncan, nouvellement construit, était venu faire ses essais à quelques milles au dehors du golfe de la Clyde, et cherchait à rentrer à Glasgow ; déjà l’île d’Arran se relevait à l’horizon, quand le matelot de vigie signala un énorme poisson qui s’ébattait dans le sillage du yacht. Le capitaine John Mangles fit aussitôt prévenir lord Edward de cette rencontre. Celui-ci monta sur la dunette avec le major Mac Nabbs, et demanda au capitaine ce qu’il pensait de cet animal.

« Vraiment, Votre Honneur, répondit John Mangles, je pense que c’est un requin d’une belle taille.

— Un requin dans ces parages ! s’écria Glenarvan.

— Cela n’est pas douteux, reprit le capitaine ; ce poisson appartient à une espèce de requins qui se rencontre dans toutes les mers et sous toutes les latitudes. C’est le « balance-fish[1], » et je me trompe fort, ou nous avons affaire à l’un de ces coquins-là ! Si Votre Honneur y consent, et pour peu qu’il plaise à lady Glenarvan d’assister à une pêche curieuse, nous saurons bientôt à quoi nous en tenir.

— Qu’en pensez-vous, Mac Nabbs ? dit lord Glenarvan au major ; êtes-vous d’avis de tenter l’aventure ?

— Je suis de l’avis qu’il vous plaira, répondit tranquillement le major.

— D’ailleurs, reprit John Mangles, on ne saurait trop exterminer ces terribles bêtes. Profitons de l’occasion, et s’il plaît à Votre Honneur, ce sera à la fois un émouvant spectacle et une bonne action.

— Faites, John, » dit lord Glenarvan.

Puis il envoya prévenir lady Helena, qui le rejoignit sur la dunette, fort tentée vraiment par cette pêche émouvante.

La mer était magnifique ; on pouvait facilement suivre à sa surface les rapides évolutions du squale, qui plongeait ou s’élançait avec une surprenante vigueur. John Mangles donna ses ordres. Les matelots jetèrent par-dessus les bastingages de tribord une forte corde, munie d’un émerillon amorcé avec un épais morceau de lard. Le requin, bien qu’il fût encore à une distance de cinquante yards, sentit l’appât offert à sa voracité. Il se rapprocha rapidement du yacht. On voyait ses nageoires, grises à leur extrémité, noires à leur base, battre les flots avec violence, tandis que son appendice caudal le maintenait dans une ligne rigoureusement droite. À mesure qu’il s’avançait, ses gros yeux saillants apparaissaient

  1. Le balance-fish est ainsi nommé par les marins anglais parce que sa tête présente la forme d’une balance, ou mieux encore la forme d’un double marteau. C’est même pour cette raison qu’en France cet animal est connu sous le nom de requin-marteau.