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LES RÉVOLTÉS

avec des gens qu’unissait seule la solidarité d’un crime. De sanglantes querelles avaient éclaté bientôt entre les Taïtiens et les Anglais. Aussi, en 1794, quatre des mutins survivaient-ils seulement. Christian était tombé sous le couteau de l’un des indigènes qu’ils avaient amenés. Tous les Taïtiens avaient été massacrés.

Un des Anglais, qui avait trouvé le moyen de fabriquer des spiritueux avec la racine d’une plante indigène, avait fini par s’abrutir dans l’ivresse, et, pris d’un accès de delirium tremens, s’était précipité du haut d’une falaise dans la mer.

Un autre, en proie à un accès de folie furieuse, s’était jeté sur Young et sur un des matelots, nommé John Adams, qui s’était vus forcé de le tuer. En 1800, Young était mort pendant une violente crise d’asthme.

John Adams fut alors le dernier survivant de l’équipage des révoltés.

Resté seul avec plusieurs femmes et vingt enfants, nés du mariage de ses camarades avec les Taïtiennes, le caractère de John Adams s’était modifié profondément. Il n’avait que trente-six ans alors ; mais, depuis bien des années, il avait assisté à tant de scènes de violence et de carnage, il avait vu la nature humaine sous de si tristes aspects, qu’après avoir fait un retour sur lui-même, il s’était tout à fait amendé.

Dans la bibliothèque de la Bounty, conservée sur l’île, se trouvaient une Bible et plusieurs livres de prières. John Adams, qui les lisait fréquemment, se convertit, éleva dans d’excellents principes la jeune population qui le considérait comme un père, et devint, par la force des choses, le législateur, le grand-prêtre et, pour ainsi dire, le roi de Pitcairn.

Cependant, jusqu’en 1814, ses alarmes avaient été continuelles. En 1795, un bâtiment s’étant approché de Pitcairn, les quatre survivants de la Bounty s’étaient cachés dans des bois inaccessibles et n’avaient osé redescendre dans la baie qu’après le départ du navire. Même acte de prudence, lorsqu’en 1808, un capitaine américain débarqua sur l’île, où il s’empara du chronomètre et d’une boussole, qu’il fit parvenir à l’amirauté anglaise ; mais l’amirauté ne s’émut pas à la vue de ces reliques de la Bounty. Il est vrai qu’elle avait en Europe des préoccupations d’une bien autre gravité, à cette époque.

Tel fut le récit fait au commandant Staines par les deux naturels, Anglais par leurs pères, l’un fils de Christian, l’autre fils de Young ; mais, lorsque Staines demanda à voir John Adams, celui-ci refusa de se rendre à bord, avant de savoir ce qu’il adviendrait de lui,

Le commandant, après avoir assuré aux deux jeunes gens que John Adams était couvert par la prescription, puisque vingt-cinq ans s’étaient écoulés depuis