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LES RÉVOLTÉS DE LA « BOUNTY »

L’un d’eux, plus violent ou plus énervé que ses camarades, alla même jusqu’à dire au capitaine :

« Un homme en vaut un autre, et je ne vois pas pourquoi vous resteriez toujours à vous reposer ! Si vous avez faim, allez chercher de quoi manger ! Pour ce que vous faites ici, je vous remplacerai bien ! »

Bligh, comprenant que cet esprit de mutinerie devait être enrayé sur-le-champ, saisit un coutelas, et, en jetant un autre aux pieds du rebelle, il lui cria :

« Défends-toi, ou je te tue comme un chien ! »

Cette attitude énergique fit aussitôt rentrer le mutin en lui-même, et le mécontentement général se calma.

Pendant cette relâche, l’équipage de la chaloupe récolta abondamment des huîtres, des peignes[1] et de l’eau douce.

Un peu plus loin, dans le détroit de l’Endeavour, de deux détachements envoyés à la chasse des tortues et des noddis[2], le premier revint les mains vides ; le second rapporta six noddis, mais il en aurait pris davantage sans l’obstination de l’un des chasseurs, qui, s’étant écarté de ses camarades, effraya ces oiseaux. Cet homme avoua, plus tard, qu’il s’était emparé de neuf de ces volatiles et qu’il les avait mangés crus sur place.

Sans les vivres et l’eau douce qu’il venait de trouver sur la côte de la Nouvelle-Hollande, il est bien certain que Bligh et ses compagnons auraient péri. D’ailleurs, tous étaient dans un état lamentable, hâves, défaits, épuisés, — de véritables cadavres.

Le voyage en pleine mer, pour gagner Timor, ne fut que la douloureuse répétition des souffrances déjà endurées par ces malheureux avant d’atteindre les côtes de la Nouvelle-Hollande. Seulement, la force de résistance avait diminué chez tous, sans exception. Au bout de quelques jours, leurs jambes étaient enflées. Dans cet état de faiblesse extrême, ils étaient accablés par une envie de dormir presque continuelle. C’étaient les signes avant-coureurs d’une fin qui ne pouvait tarder beaucoup. Aussi Bligh, qui s’en aperçut, distribua une double ration aux plus affaiblis et s’efforça de leur rendre un peu d’espoir.

Enfin, le 12 juin au matin, la côte de Timor apparut, après trois mille six cent dix-huit lieues d’une traversée accomplie dans des conditions épouvantables.

L’accueil que les Anglais reçurent à Coupang fut des plus sympathiques. Ils y restèrent deux mois pour se refaire. Puis, Bligh, ayant acheté un petit schooner, gagna Batavia, où il s’embarqua pour l’Angleterre.

  1. Espèce de coquillage.
  2. Sortes d’oiseaux.