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LES ABANDONNÉS

— Nous le promettons.

— Si vous tenez votre parole, ajouta Bligh, et, au besoin, je saurai vous y forcer, je réponds du salut. »

La route fut faite vers l’O.-N.-O. Le vent, qui était assez fort, souffla en tempête dans la soirée du 4 mai. Les lames devinrent si grosses, que l’embarcation disparaissait entre elles, et semblait ne pouvoir se relever. Le danger augmentait à chaque instant. Trempés et glacés, les malheureux n’eurent pour se réconforter, ce jour-là, qu’une tasse à thé de rhum et le quart d’un fruit à pain à moitié pourri.

Le lendemain et les jours suivants, la situation ne changea pas. L’embarcation passa au milieu d’îles innombrables, d’où quelques pirogues se détachèrent.

Était-ce pour lui donner la chasse, était-ce pour faire quelques échanges ? Dans le doute, il aurait été imprudent de s’arrêter. Aussi, la chaloupe, les voiles gonflées par un bon vent, les eut bientôt laissées loin derrière elle.

Le 9 mai, un orage épouvantable éclata. Le tonnerre, les éclairs se succédaient sans interruption. La pluie tombait avec une force dont les plus violents orages de nos climats ne peuvent donner une idée. Il était impossible de faire sécher les vêtements. Bligh, alors, eut l’idée de les tremper dans l’eau de mer et de les imprégner de sel, afin de ramener à la peau un peu de la chaleur enlevée par la pluie. Toutefois, ces pluies torrentielles, qui causèrent tant de souffrances au capitaine et à ses compagnons, leur épargnèrent d’autres tortures encore plus horribles, les tortures de la soif, qu’une insoutenable chaleur eût bientôt provoquées.

Le 17 mai, au matin, à la suite d’un orage terrible, les plaintes devinrent unanimes :

« Jamais nous n’aurons la force d’atteindre la Nouvelle-Hollande, s’écrièrent les malheureux. Transpercés par la pluie, épuisés de fatigue, n’aurons-nous jamais un moment de repos ! À demi morts de faim, n’augmenterez-vous pas nos rations, capitaine ? Peu importe que nos vivres s’épuisent ! Nous trouverons facilement à les remplacer en arrivant à la Nouvelle-Hollande !

— Je refuse, répondit Bligh. Ce serait agir comme des fous. Comment ! nous n’avons franchi que la moitié de la distance qui nous sépare de l’Australie, et vous êtes déjà découragés ! Croyez-vous, d’ailleurs, pouvoir trouver facilement des vivres sur la côte de la Nouvelle-Hollande ! Vous ne connaissez donc pas le pays et ses habitants ! »

Et Bligh se mit à peindre à grands traits la nature du sol, les mœurs des indigènes, le peu de fonds qu’il fallait faire sur leur accueil, toutes choses que son