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LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM

Toujours flânant, il arriva jusqu’au petit lac artificiel qui s’étendait vers le sud du parc pour aller alimenter, à l’une de ses extrémités, une cascade assez servilement copiée sur celle du bois de Boulogne.

« Où donc se dégage l’eau de cette cascade ? » se demanda Marcel.

C’était d’abord dans le lit d’une petite rivière, qui, après avoir décrit une douzaine de courbes, disparaissait sur la limite du parc.

Il devait donc se trouver là un déversoir, et, selon toute apparence, la rivière s’échappait en l’emplissant à travers un des canaux souterrains qui allaient arroser la plaine en dehors de Stahlstadt.

Marcel entrevit là une porte de sortie. Ce n’était pas une porte cochère évidemment, mais c’était une porte.

« Et si le canal était barré par des grilles de fer ! objecta tout d’abord la voix de la prudence.

— Qui ne risque rien n’a rien ! Les limes n’ont pas été inventées pour roder les bouchons, et il y en a d’excellentes dans le laboratoire ! » répliqua une autre voix ironique, celle qui dicte les résolutions hardies.

En deux minutes, la décision de Marcel fut prise. Une idée, — ce qu’on appelle une idée ! — lui était venue, idée irréalisable, peut-être, mais qu’il tenterait de réaliser, si la mort ne le surprenait pas auparavant.

Il revint alors sans affectation vers l’arbuste à fleurs rouges, il en détacha deux ou trois feuilles, de telle sorte que ses gardiens ne pussent manquer de le voir.

Puis, une fois rentré dans sa chambre, il fit, toujours ostensiblement, sécher ces feuilles devant le feu, les roula dans ses mains pour les écraser, et les mêla à son tabac.

Pendant les six jours qui suivirent, Marcel, à son extrême surprise, se réveilla chaque matin. Herr Schultze, qu’il ne voyait plus, qu’il ne rencontrait jamais pendant ses promenades, avait-il donc renoncé à ce projet de se défaire de lui ? Non, sans doute, pas plus qu’au projet de détruire la ville du docteur Sarrasin.

Marcel profita donc de la permission qui lui était laissée de vivre, et, chaque jour, il renouvela sa manœuvre. Il prenait soin, bien entendu, de ne pas fumer de belladone, et, à cet effet, il avait deux paquets de tabac, l’un pour son usage personnel, l’autre pour sa manipulation quotidienne. Son but était simplement d’éveiller la curiosité d’Arminius et de Sigimer. En fumeurs endurcis qu’ils étaient, ces deux brutes devaient bientôt en venir à remarquer l’arbuste dont il cueillait les feuilles, à imiter son opération et à essayer du goût que ce mélange communiquait au tabac.