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comprenait un ensemble de bâtiments, bien aménagés, bien entretenus, écuries, granges, étables, basse-cour, hangars, et possédait un matériel très complet, très moderne, tel que l’exigent actuellement les besoins de l’agriculture. Quant à la maison de maître, c’était un pavillon à l’entrée d’un vaste enclos, tapissé de pelouses, ombragé d’arbres, dont la simplicité n’excluait pas le confort.

Telle était l’habitation où Sammy Skim et Ben Raddle passaient la belle saison, et que le premier, du moins, n’eût pas voulu échanger pour n’importe quel château seigneurial des opulents Américains. Si modeste qu’elle fût, elle lui suffisait, et il ne rêvait ni d’agrandissements ni d’embellissements, satisfait de ceux dont la nature fait tous les frais. Là s’écoulaient ses journées, remplies par les exercices cynégétiques, et ses nuits toujours favorisées d’un bon sommeil.

Il va sans dire, et il convient d’y insister, que Summy Skim se trouvait assez riche du revenu de ses terres. Il les faisait valoir avec autant de méthode que d’intelligence. Mais s’il n’entendait pas laisser sa fortune dépérir, il ne se souciait en aucune façon de l’accroître, et pour rien au monde, il ne se fût jeté dans les affaires si variées en Amérique, dans les spéculations commerciales et industrielles, chemins de fer, banques, mines, Sociétés maritimes ou autres. Non ! ce sage avait horreur de tout ce qui présente des risques ou simplement des aléas. S’attacher à supputer de bonnes ou de mauvaises chances, se sentir à la merci d’éventualités qu’on ne peut ni empêcher ni prévoir, se réveiller le matin sur cette pensée : suis-je plus riche ou plus pauvre que la veille, cela lui eût paru horrible… Il aurait préféré ou ne jamais s’endormir ou ne jamais se réveiller.

Là était le très marqué contraste entre les deux cousins, de même origine franco-canadienne. Que tous deux fussent nés de deux sœurs, et qu’ils eussent du sang français dans les veines, à cela nul doute. Mais si le père de Summy Skim était de nationalité anglo-saxonne, le père de Ben Raddle était de nationalité américaine, et il existe assurément une différence entre l’Anglais et le Yankee, différence qui s’accentue avec le temps. Jonathan et John Bull, s’ils sont parents, ne le sont qu’à un degré éloigné qui n’est pas même le degré successible, et cette parenté, semble-t-il, finira par s’effacer entièrement.

Il y a donc lieu d’observer que les deux cousins, très unis d’ailleurs, s’ils n’imaginaient pas que rien pût les séparer dans l’avenir, n’avaient ni les mêmes goûts ni le même tempérament. Ben Raddle, de moins grande taille, brun de cheveux et de barbe, de deux ans plus âgé que Skim, n’envisageait pas l’existence sous le même angle que lui. Tandis que l’un se contentait de vivre en bon propriétaire et de surveiller ses récoltes, l’autre

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