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sains que le pain, « aussi succulents que la crème », disent les voyageurs, furent extrêmement appréciés.

À deux heures, le guide entra sous le couvert d’une épaisse forêt, qu’il devait traverser sur un espace de plusieurs milles. Il préférait voyager ainsi à l’abri des bois. En tout cas, il n’avait fait jusqu’alors aucune rencontre fâcheuse, et le voyage semblait devoir s’accomplir sans accident, quand l’éléphant, donnant quelques signes d’inquiétude, s’arrêta soudain.

Il était quatre heures alors.

« Qu’y a-t-il ? demanda sir Francis Cromarty, qui releva la tête au-dessus de son cacolet.

— Je ne sais, mon officier », répondit le Parsi, en prêtant l’oreille à un murmure confus qui passait sous l’épaisse ramure.

Quelques instants après, ce murmure devint plus définissable. On eût dit un concert, encore fort éloigné, de voix humaines et d’instruments de cuivre.

Passepartout était tout yeux, tout oreilles. Mr. Fogg attendait patiemment, sans prononcer une parole.

Le Parsi sauta à terre, attacha l’éléphant à un arbre et s’enfonça au plus épais du taillis. Quelques minutes plus tard, il revint, disant :

« Une procession de brahmanes qui se dirige de ce côté. S’il est possible, évitons d’être vus. »

Le guide détacha l’éléphant et le conduisit dans un fourré, en recommandant aux voyageurs de ne point mettre pied à terre. Lui-même se tint prêt à enfourcher rapidement sa monture, si la fuite devenait nécessaire. Mais il pensa que la troupe des fidèles passerait sans l’apercevoir, car l’épaisseur du feuillage le dissimulait entièrement.

Le bruit discordant des voix et des instruments se rapprochait. Des chants monotones se mêlaient au son des tambours et des cymbales. Bientôt la tête de la procession apparut sous les arbres, à une cinquantaine de pas du poste occupé par Mr. Fogg et ses compagnons. Ils distinguaient aisément à travers les branches le curieux personnel de cette cérémonie religieuse.

En première ligne s’avançaient des prêtres, coiffés de mitres et vêtus de longues robes chamarrées. Ils étaient entourés d’hommes, de femmes, d’enfants, qui faisaient entendre une sorte de psalmodie funèbre, interrompue à intervalles égaux par des coups de tam-tams et de cymbales. Derrière eux, sur un char aux larges roues dont les rayons et la jante figuraient un entrelacement de serpents, apparut une statue hideuse, traînée par deux couples de zébus richement caparaçonnés. Cette statue avait quatre bras, le corps colorié d’un rouge sombre, les yeux ha-