Page:Verne - Le Testament d’un excentrique, Hetzel, 1899.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
le testament d’un excentrique

sement, cette union, le Ciel avait dédaigné de la bénir, et leur lignée s’éteindrait en eux. Riches, leur fortune ne venait ni du commerce ni de l’industrie. Non, tous deux, — car la dame y avait travaillé autant que le monsieur, — s’étaient livrés aux affaires interlopes des petits banquiers, des prêteurs sur gage, des acheteurs de créances à vil prix, des usuriers de bas étage, de ces loups-cerviers qui dépouillent les gens en se tenant toujours dans les limites de la légalité, — cette légalité, a dit un grand romancier français, qui serait une belle chose pour les coquins… si Dieu n’existait pas !

En remontant l’échelle de leurs ancêtres, et presque dès les premiers échelons, on eût rencontré les ascendants d’origine allemande, ce qui justifiait ce prénom d’Hermann porté par le dernier représentant de cette tribu teutone.

C’était un homme gros et court, roux de barbe comme sa femme était rousse de cheveux. Une santé de fer leur avait permis, à tous les deux, de ne jamais dépenser un demi-dollar en drogues de pharmacien ou en visites de docteur. Pourvus d’un estomac capable de tout digérer, — tel que les honnêtes gens devraient être seuls à en avoir, — ils vivaient de rien, et leur servante s’accommodait de ce régime. Depuis que M. Titbury s’était retiré des affaires, il n’avait plus eu de relations au dehors et se laissait complètement mener par Mrs Titbury, une maîtresse femme aussi détestable qu’on peut l’être, et qui couchait avec ses clefs, suivant l’expression populaire.

Le couple occupait une maison à fenêtres étroites comme leurs idées, grillagées comme leur cœur, et qui ressemblait à un coffre-fort à secret. Du reste, leur porte ne s’ouvrait ni pour un étranger, ni pour un membre de la famille, faute de famille, ni pour des amis, puisqu’ils n’en avaient jamais eu. Et, cette fois, ce fut devant les dépités chercheurs d’informations qu’elle demeura obstinément close.

Il est vrai, sans interviewer directement les époux Titbury, rien de plus aisé que d’apprécier leur état d’âme, du jour où ils prirent place dans le groupe des « Six ». Quel effet, lorsque Hermann Titbury lut son nom dans le fameux numéro de la Tribune du 1er avril !