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le testament d’un excentrique

cain, et si vous occupez le public de ma personne, de mes faits, de mes gestes, attention à ce que vous direz… ou vous aurez affaire au commodore Urrican ! »

C’était, en effet, un commodore, Hodge Urrican, officier de la marine des États-Unis, à la retraite depuis six mois, — ce dont il ne pouvait se consoler, — un bon et brave marin, en somme, qui avait toujours su faire son devoir devant le feu de l’ennemi comme devant le feu du ciel. Malgré ses cinquante-deux ans, il n’avait rien perdu de son irritabilité naturelle. Que l’on se figure un homme vigoureusement constitué, taille élevée, carrure puissante, tête forte à gros yeux roulant sous des sourcils en broussaille, front un peu bas, cheveux tondus de près, menton carré agrémenté d’une barbiche qu’il fourrage sans cesse d’une main fébrile, bras solidement emmanchés, jambes régulièrement arquées, imprimant au torse ce mouvement de roulis spécial aux gens de mer. D’un caractère emporté, toujours le mors aux dents, incapable de se posséder, aussi désagréable que le peut être une créature humaine dans la vie privée comme dans la vie publique, on ne lui connaissait pas un ami. Il serait surprenant qu’un pareil type eût été marié. Aussi ne l’était-il pas, et « quelle chance pour sa femme », répétaient volontiers les mauvais plaisants. Il appartenait à cette catégorie de violents que la colère fait pâlir en déterminant un spasme du cœur, dont le corps se porte en avant, comme pour l’attaque, dont les pupilles ardentes sont en un perpétuel état de contraction, et dans la voix desquels il y a de la dureté, alors même qu’ils sont calmes, et du rugissement, quand ils ne le sont pas.

Lorsque les chroniqueurs du Chicago Globe vinrent frapper à la porte de l’atelier de South Halsted Street, au numéro 3997, — la rue est de belle longueur, on le voit, — ils ne trouvèrent personne au logis, si ce n’est un jeune noir de dix-sept ans au service de Max Réal qui leur ouvrit.

« Où est ton maître ?… lui demanda-t-on.

— Je ne sais pas…