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le pavillon vert.

jaune, elle a toujours résisté à ces multiples causes de destruction.

C’est sur une basse presqu’île, entre les estuaires d’Ashtley et de Cooper formant rade, avec un vaste port desservi par deux passes, entre les promenades et les quais, que Charleston étale ses quartiers commerçants, ses maisons à vérandas, avec façades ombragées de magnolias, de grenadiers et d’azeradachs[1] en pleine verdure. Un peu en dehors, sur les îlots et les pointes s’élèvent des forts, — entre autres le fort Moultrie qui est l’un des arsenaux de l’Union et du South Carolina.

Toujours le benjamin de la chance, ce chroniqueur en chef de la Tribune ! Aucune inondation, aucun incendie, aucun tremblement de terre ne désolait Charleston, lorsqu’il y arriva, ni même aucune épidémie de vomito negro ! Cette cité, si connue, si appréciée pour l’urbanité de ses mœurs, la politesse de ses habitants, put donc lui apparaître dans toute sa splendeur. Ils ne devaient jamais s’effacer de son souvenir, les quelques jours que sa bonne fortune lui permit d’y séjourner.

Dire que Harris T. Kymbale fut reçu avec enthousiasme, ce serait insuffisant. Il s’y joignit une sorte de délire pour le partenaire en qui la cité voyait le plus qualifié des « Sept ». Les autres ne comptaient même pas. Pour les Charlestoniens il n’y en avait qu’un, — celui que le point de dix venait de leur envoyer. Quant aux millions de feu Hypperbone, c’est comme s’il les portait déjà dans son sac de voyage.

Pendant quarante-huit heures affluèrent donc invitations sur invitations auxquelles le populaire reporter ne put se refuser, — non plus qu’aux promenades à travers la campagne environnante, où les orangers poussent en pleine terre. Sur tous les murs, couverts d’affiches tire-l’œil, le nom de Harris T. Kymbale figurait en lettres éclatantes, et, le soir, en caractères électriquement reproduits.

Un hôte si bien accueilli contractait envers la cité une forte dette de reconnaissance. Aussi son intention, s’il gagnait la partie, — il le déclara, — était-elle de fonder à Charleston un hospice pour les

  1. Azédarach : Arbuste ou arbre de 6 à 10 mètres originaire des Indes, souvent utilisé pour border les avenues. Il donne de très grosses grappes de fleurs parfumées, de couleur rose ou lilas. Les fruits, de la taille d’une cerise, sont légèrement vénéneux.