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à l’excellente dame, c’est qu’il était le quarante-troisième enfant d’un ménage mormon, bien entendu avant que la polygamie eût été interdite par décret du Président des États-Unis.

Et cela ne saurait étonner, puisque l’apôtre Hébert Kimball, premier conseiller de l’Église, était mort en laissant treize femmes et cinquante-quatre enfants. Il faut espérer que si le chroniqueur de la Tribune, Harris T. Kymbale, est jamais astreint à se transporter dans l’Utah, il ne prendra pas exemple sur son homonyme. Au surplus, les deux noms ne s’écrivent pas de la même manière, et, en outre, il n’est plus permis à Great Salt Lake City d’être polygame, fût-on un des « Fidèles du Coran ».

Si cette conversation plut aux Titbury, ce fut surtout parce qu’il eût été impossible d’imaginer un conteur plus charmant que M. Inglis. Nul doute qu’il regrettât le temps où l’Église mormone fonctionnait dans toute sa splendeur. Il vantait l’excellence de cette religion, la « meilleure » qui fut révélée par « l’Esprit de Dieu ». Il parla de Joseph Smith, qui se sentit devenir prophète en 1830, qui retrouva les tablettes d’or sur lesquelles étaient inscrites les divines lois du Mormonisme, et qui fut assassiné depuis. Il narra l’exode des « Saints des Derniers Jours », établis d’abord dans le New York, dans l’Illinois, puis dans l’Ohio, puis dans le Missouri. Et alors, le voilà qui s’étend en termes émus et dithyrambiques sur Brigham Young, pape et président de l’Église, lequel, bravant les fatigues, bravant les dangers, conduisit la communauté sur les territoires voisins du Grand Lac Salé, où il fonda, en 1847, la Nouvelle Jérusalem.

Et la cité sainte ne méritait-elle pas ce nom, comme méritait celui de Jourdain le cours d’eau sur les bords duquel elle s’élève, à une dizaine de milles du lac ? C’étaient les temps prospères, et l’État ne comptait pas moins de cent quarante-cinq mille Fidèles, qui se sont réfugiés actuellement, pour le plus grand nombre, sur un territoire concédé par le Mexique. Mais les persécutions s’accrurent, et ce que ne dit pas M. Robert Inglis, c’est que le gouvernement fédéral comprit très bien que l’Utah cherchait plus à se rendre indépendant