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pris l'un pour l'autre.

boutiques, sur les places où l’animation se manifestait par de plus bruyants propos. Jusqu’aux femmes qui s’en mêlaient, et, en Amérique, elles ne sont pas moins démonstratives qu’en n’importe quel pays du vieux continent.

John Milner fut très satisfait, mais il aurait voulu savoir à quel point on s’impatientait de ne pas avoir encore vu Tom Crabbe à Cincinnati. C’est pourquoi, avisant l’honorable Dick Wolgod, charcutier de son état, en chapeau de haute forme, en habit noir et en tablier de travail, qui se tenait sur le pas de sa porte, il entra dans la boutique et demanda un jambon dont il aurait, on le sait, le facile placement. Puis, après qu’il l’eut payé sans marchander, il dit au moment de sortir :

« C’est demain le concours…

— Oui… une belle cérémonie, répondit Dick Wolgod, et ce concours va faire honneur à notre cité.

— Il y aura sans doute grande foule à Spring Grove ?… demanda John Milner.

— Toute la ville y sera, monsieur, répondit Dick Wolgod avec cette politesse que tout charcutier sérieux doit au client qui vient de lui acheter un jambon. Songez donc, monsieur, une pareille exhibition… »

John Milner dressa l’oreille. Il était interloqué. Comment pouvait-on se douter qu’il eût l’intention d’exhiber Tom Crabbe à Spring Grove ?…

Et alors, il dit :

« Ainsi… on ne s’inquiète pas de retards… qui pourraient survenir…

— Aucunement. »

Et, comme une pratique entrait en cet instant, John Milner s’en alla en proie à un certain ahurissement. Que l’on veuille bien se mettre à sa place…

Il n’avait pas fait cent pas, quand, au coin de la cinquième rue transversale, il s’arrêta soudain, leva les bras vers le ciel, et laissa tomber son jambon sur le trottoir.